CJUE, 29 juillet 2010, C-577/08, Brouwer: principe d'égalité entre les hommes et les femmes en matière de calcul des pensions retraite

Égalité professionnelle F/H

- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

CJUE, 29 juillet 2010, C-577/08, Brouwer.

Mme Brouwer, ressortissante belge ayant effectué toute sa carrière professionnelle aux Pays-Bas (du 15 août 1960 au 31 décembre 1998) en qualité de travailleur frontalier, s'est vue attribuer une pension de retraite en Belgique, calculée conformément à la réglementation de ce pays où le montant de la pension est déterminé sur la base des salaires journaliers fictifs et / ou forfaitaires qui sont fixés annuellement sur la base du salaire moyen perçu par les travailleurs en Belgique au cours de l'année précédente. 

La requérante a contesté le montant de sa pension en mettant en avant le caractère discriminatoire du mode de calcul appliqué par la législation belge pour la période allant du 1er janvier 1968 au 31 décembre 1994; période pendant laquelle les salaires fictifs et / ou forfaitaires pris en compte étaient inférieurs pour les travailleurs féminins à ceux de leurs collègues masculins.

 

 

La justice belge, saisie de cette affaire, a interrogé la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE), par le biais de la question préjudicielle, sur la compatibilité d'une telle réglementation avec l'article 4, paragraphe 1 de la directive 79/7/CEE relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale. 

 

Dans sa décision, la CJUE rappelle, s'agissant de la directive 97/7/CEE, que les Etats membres avaient jusqu'au 23 décembre 1984 pour procéder à sa transposition. Cette précision est fortement utile car pour répondre à la question préjudicielle, les juges communautaires distinguent la période professionnelle effectuée avant cette date et celle effectuée après.

Pour la première période, la Cour de Justice fait remarquer que la directive n'était pas encore applicable, "la compatibilité de la réglementation nationale en cause ne pouvait être examinée que par rapport à l'article 119 du traité CE" (devenu l'article 141 CE et remplacé par l'article 157¹ TFUE actuellement en vigueur) qui prévoit "l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur".

Mais dans cette affaire, ainsi que le relève très justement la Cour, cet article n'est pas pertinent, puisqu'il s'agit en l'occurrence d'une pension légale relevant du régime de sécurité sociale et non d'une rémunération². Par conséquent, les dispositions juridiques litigieuses se trouvaient en dehors du champ d'application dudit article et ne pouvaient dès lors être considérées comme contraires à celui-ci". 

Quant à la deuxième période, c'est-à-dire celle correspondant à l'entrée en vigueur de la directive 79/7 (à partir du 23 décembre 1984), les juges communautaires considérent que le mode de calcul en cause était, comme l'a reconnu le gouvernement belge lui-même à l'audience, discriminatoire.

 

 

A la suite de ces considérations, la Cour juge que "L’article 4, paragraphe 1 ³, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle, pour la période allant de 1984 à 1994, le calcul des pensions de retraite et de vieillesse des travailleurs frontaliers féminins se basait, en ce qui concerne les mêmes emplois ou les emplois de même valeur, sur des salaires journaliers fictifs et/ou forfaitaires inférieurs à ceux des travailleurs frontaliers masculins."

 

 

 

Dans ce même arrêt, les juges se prononcent sur la demande du gouvernement belge faite auprès de la Cour de limiter, si la discrimination est constatée, les effets de l'arrêt dans le temps.

 

En effet, la Cour peut, à titre exceptionnel, en tenant compte des troubles graves que son arrêt pourrait entraîner pour le passé, être amenée à limiter ses effets dans le temps.

Pour décider une telle limitation, la Cour prend en compte deux paramètres. Elle examine, d'une part, les conséquences économiques et financières que sa décision pourrait induire pour un Etat membre, et d'autre part, l'existence d'une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions communautaires.

Dans la présente affaire, le gouvernement belge a soutenu que ces paramètres étaient réunis.

S'agissant d'abord des conséquences économiques et financières, selon une jurisprudence constante de la CJUE, ces dernières "ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets" d'un arrêt dans le temps (voir arrêts du 20 septembre 2001, C-184/99; 15 mars 2005, Bidar, C-209/03), car "limiter les effets d'un arrêt en s'appuyant uniquement sur ce type de considérations aboutirait à réduire de façon substantielle la protection juridictionnelle des droits que les particuliers tirent du droit communautaire"( voir arrêt du 24 septembre 1998, Commission/France, C-35/97).

C'est pourquoi, il est nécessaire, selon les juges communautaires que les Etats membres établissent l'existence d'une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions communautaires.

A cet égard, considérant que "les autorités belges ne pouvaient légitimement croire que le fait que les salaires des travailleurs féminins étaient inférieurs à ceux des travailleurs masculins résultait de l'existence de facteurs objectifs et non d'une simple discrimination salariale", la Cour conclut que l'existence d'une incertitude objective quant à la portée de l'article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 n'est pas établie. Par conséquent, aucune limitation des effets de l'arrêt rendu dans la présente affaire n'est prononcée.

 

 

 

 

 

 

¹ "1. Chaque État membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur.

2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier.

L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique:

a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure;

b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail.

3. Le Parlement européen et le Conseil, statuant selon la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, adoptent des mesures visant à assurer l'application du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de travail, y compris le principe de l'égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de même valeur.

4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un État membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle."

² Selon une jurisprudence constante de la Cour de Justice rendue dans le contexte de l’article 119 du traité CE, puis, à compter du 1er mai 1999, dans celui de l’article 141 CE, articles relatifs au principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de rémunérations, "relèvent de la notion de «rémunération» au sens de l’article 141, paragraphe 2, CE, les pensions qui sont fonction de la relation d’emploi unissant le travailleur à l’employeur, à l’exclusion de celles découlant d’un système légal au financement duquel les travailleurs, les employeurs et, éventuellement, les pouvoirs publics contribuent dans une mesure qui est moins fonction d’une telle relation d’emploi que de considérations de politique sociale (voir, notamment, arrêts du 25 mai 1971, Defrenne, 80/70, Rec. p. 445, points 7 et 8; du 13 mai 1986, Bilka-Kaufhaus, 170/84, Rec. p. 1607, points 16 à 22; du 17 mai 1990, Barber, C-262/88, Rec. p. I-1889, points 22 à 28, ainsi que du 23 octobre 2003, Schönheit et Becker, C-4/02 et C-5/02, Rec. p. I-12575, points 56 à 64)"

³ Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive:

«Le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne:

[…]

– le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations.»