CJUE, 12 oct. 2010, aff. C-45/09 :négociation collective sur la retraite et discrimination

Non-discrimination

- Auteur(e) : Hakim El Fattah

CJUE, 12 oct. 2010, aff. C-45/09.

Veuillez trouver le commentaire de cet arrêt par M. Francis Meyer, maître de conférences à l'Université de Strasbourg, dans notre Lettre d’information n°37 – octobre 2010 ou dans l'extrait ci-dessous :

Les partenaires sociaux peuvent-ils prévoir par convention collective une rupture des relations contractuelles lors de l’arrivée de l’âge normal de la retraite sans que cela constitue une discrimination directe qui contrevient à la directive 2000/78 ?

Dans le numéro 33 de cette revue, nous avions commenté les conclusions de l’avocat général, Mme Vérica Trstenjak, présentées le 28 avril 2010 sous l’affaire C- 45-09 (Gisela Rosenbladt contre Oellerking Gebäudereinigungsges. Mbh). La Cour vient de rendre sa décision.

 

I. Rappel des faits

Pendant 39 ans, l’activité professionnelle de Mme Rosenbladt a consisté à effectuer des travaux de nettoyage dans une caserne à Hamburg-Blankenese (Allemagne).

À compter du 1er novembre 1994, Mme Rosenbladt a été employée par Oellerking, entreprise de nettoyage, selon un contrat de travail à temps partiel (deux heures par jour; dix heures par semaine) prévoyant une rémunération mensuelle brute de 307,48 euros.

Ce contrat stipule que, conformément à l’article 19, point 8, du RTV, il prend fin au terme du mois civil à partir duquel la salariée peut prétendre à une pension de retraite, soit au plus tard au terme du mois au cours duquel elle atteint l’âge de 65 ans.

Conformément à cette clause, le 14 mai 2008, Oellerking a notifié à Mme Rosenbladt la cessation de son contrat de travail, avec effet au 31 mai 2008, en raison du fait qu’elle avait atteint l’âge de départ à la retraite.

Par une lettre du 18 mai 2008, Mme Rosenbladt a indiqué à son employeur qu’elle entendait continuer à travailler. En dépit de cette opposition, le contrat de travail de l’intéressée a cessé de produire ses effets le 31 mai 2008.

Le 28 mai 2008, Mme Rosenbladt a saisi l’Arbeitsgericht Hamburg d’une action dirigée contre son employeur. Elle fait valoir que la cessation de son contrat de travail est illicite, car constitutive d’une discrimination fondée sur l’âge. Elle soutient qu’une limite d’âge telle que celle prévue à l’article 19, point 8, du RTV est injustifiable au regard tant de l’article 4 de la directive 2000/78 que de l’article 6 de celle-ci.

La juridiction de renvoi, doutant de la conformité de la clause de cessation automatique des contrats de travail avec le principe de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail consacré par le droit primaire de l’Union et par la directive 2000/78, a posé une question préjudicielle.

L'avocat général avait préconisé des solutions qui traduisaient selon nous « une incroyable mansuétude à l'égard des Etats ».

La Cour confirme ces positions dans l'arrêt qu'elle vient de rendre (CJUE - 12 octobre 2010 - C – 45/09).

 

II. Réponses apportées par l'arrêt

 

1 ) Sur la question de savoir si des clauses de cessation automatique des contrats de travail, en raison du fait que le salarié a atteint l’âge d’admission à la retraite, peuvent échapper à l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge, la Cour rappelle que «l ’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78 énonce qu’une différence de traitement fondée sur l’âge ne constitue pas une discrimination lorsqu’elle est objectivement et raisonnablement justifiée, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ».

 

2) Elle indique ensuite que le fait de mettre un salarié en retraite pour raison d'âge constitue une discrimination directe sauf justifications énoncées plus haut.

Eu égard à ces justifications, « les États membres ainsi que, le cas échéant, les partenaires sociaux au niveau national, disposent d’une large marge d’appréciation dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé parmi d’autres en matière de politique sociale et de l’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser ».

 

3) Face à ces impératifs contradictoires elle pose en préambule que « la cessation automatique des contrats de travail des salariés qui remplissent les conditions d’âge et de cotisation pour bénéficier de la liquidation de leurs droits à pension fait, depuis longtemps, partie du droit du travail de nombreux États membres et est d’un usage répandu dans les relations de travail. Ce mécanisme repose sur un équilibre entre considérations d’ordre politique, économique, social, démographique et/ou budgétaire et dépend du choix d’allonger la durée de vie active des travailleurs ou, au contraire, de prévoir le départ à la retraite précoce de ces derniers. » Elle dégage ainsi de larges marges de manoeuvre aux Etats.

De ce fait, «l’autorisation des clauses de cessation automatique des contrats de travail en raison du fait que le salarié a atteint l’âge de départ à la retraite ne saurait, en principe, être regardée comme portant une atteinte excessive aux intérêts légitimes des travailleurs concernés».

Encore faut-il vérifier si une telle mesure est appropriée et nécessaire.

La Cour estime que plusieurs facteurs y contribuent :

a) les intéressés bénéficient au terme de leur carrière professionnelle d’une compensation financière au moyen d’un revenu de substitution prenant la forme d’une pension de retraite

b) le mécanisme de cessation automatique des contrats de travail prévu n’autorise pas les employeurs à mettre fin unilatéralement à la relation de travail lorsque les travailleurs ont atteint l’âge leur permettant de faire liquider leur pension de retraite. Ce mécanisme, distinct du licenciement et de la démission, repose sur un fondement conventionnel, à l'instar de notre rupture conventionnelle.

Par ailleurs, la réglementation allemande impose aux employeurs de recueillir ou de confirmer le consentement des travailleurs à toute clause de cessation automatique d’un contrat de travail en raison du fait que le salarié a atteint l’âge d’admission au bénéfice d’une pension lorsque cet âge est inférieur à l’âge normal de départ à la retraite.

Cela ne veut cependant pas dire que toute convention collective, quel que soit le secteur et l'époque, peut contenir des clauses « couperets ». Un contrôle juridictionnel est possible à chaque fois pour vérifier si elle poursuit un objectif légitime d’une manière appropriée et nécessaire.

 

4) S'agissant plus précisément de justifications qui peuvent être considérées comme recevables, la Cour retient en premier lieu que d'une manière générale, de tels arrangements sont «le fruit d’un accord négocié entre les représentants des employés et ceux des employeurs qui ont ainsi exercé leur droit de négociation collective reconnu en tant que droit fondamental... Le fait de laisser ainsi aux partenaires sociaux le soin de définir un équilibre entre leurs intérêts respectifs offre une flexibilité non négligeable, chacune des parties pouvant, le cas échéant, dénoncer l’accord».

« La négociation est donc un outil privilégié permettant de garantir aux travailleurs une certaine stabilité de l’emploi et, à long terme, la promesse d’un départ à la retraite prévisible, tout en offrant aux employeurs une certaine flexibilité dans la gestion de leur personnel ».

« La clause de cessation automatique des contrats de travail est donc le reflet d’un équilibre entre des intérêts divergents mais légitimes, s’inscrivant dans un contexte complexe de relations de travail, étroitement lié aux choix politiques en matière de retraite et d’emploi».

 

5) Plus précisément, la négociation peut aboutir à un compromis qui intéresse les deux parties : «l’organisme représentant les intérêts des employeurs visait à faire prévaloir la planification adéquate et prévisible de la gestion du personnel et des recrutements sur l’intérêt des salariés au maintien de leur situation économique».

« Concernant les salariés, des clauses de cessation automatique des contrats de travail des salariés... peuvent être justifiées dans le cadre d’une politique nationale visant à promouvoir l’accès à l’emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations».

6. Un autre aspect est abordé par la Cour : une clause de ce type peut-elle être contenue dans un accord étendu ? La réponse est positive : « dès lors qu’une convention collective n’est pas contraire aux articles 1er et 2 de la directive 2000/78, l’État membre concerné est libre de la rendre obligatoire à des personnes qui ne sont pas liées par celle-ci ».

 

III. Analyse critique

Au fur et à mesure des décisions rendues sur la question de la discrimination en fonction de l'âge, on s'aperçoit qu'elle occupe une place particulière parmi l'ensemble des critères visés par la directive. Le droit fondamental du salarié de ne pas être discriminé n'est que très relatif alors qu'il s'agit pourtant d'une discrimination directe, qui exclut en principe les justifications. Les arguments avancés par les Etats membres et validées par la CJUE sont porteurs d'une logique qui relève plus d'un consensus social que d'une confrontation des droits individuels et collectifs. Ainsi le gouvernement allemand a notamment souligné que la licéité des clauses de cessation automatique des contrats de travail est le reflet d’un consensus politique et social qui dure depuis de nombreuses années en Allemagne. «Ce consensus reposerait avant tout sur l’idée d’un partage du travail entre les générations. La cessation des contrats de travail desdits salariés bénéficierait directement aux jeunes travailleurs en favorisant leur insertion professionnelle rendue difficile dans un contexte de chômage persistant. Les droits des travailleurs les plus âgés seraient, par ailleurs, adéquatement protégés. En effet, la plupart d’entre eux souhaiteraient cesser de travailler dès leur admission à la retraite, la pension perçue leur offrant un revenu de substitution après la perte de leur salaire. La cessation automatique du contrat de travail aurait également le mérite de ne pas contraindre les employeurs à licencier les salariés en établissant qu’ils ne sont plus aptes au travail, ce qui pourrait s’avérer humiliant pour ceux ayant un âge avancé».

 

Le dernier argument sera particulièrement apprécié par les seniors...

 

Francis Meyer