CJCE, 3e ch.,5 mars 2009, aff. C-388/07: Discrimination fondée sur l’âge et justification d’une mise à la retraite d’office.

Non-discrimination

- Auteur(e) : Hakim EL FATTAH

CJCE, 3e ch.,5 mars 2009, aff. C-388/07, The Incorporated Trustees of the National Council on Ageing (Age Concern England) c/ Secretary of State for Business, Entreprise and Regulatory Reform.

 

L’arrêt fait suite à une demande de décision préjudicielle présentée dans le cadre d’un recours contestant la légalité de la transposition de la directive 2000/78 au Royaume-Uni et qui oppose The Incorporated Trustees of the National Council on Ageing (Age Concern England) qui est une association caritative ayant pour objet la promotion du bien-être des personnes âgées au Secretary of State for Business, Enterprise and Regulatory Reform (secrétaire d’État aux Affaires économiques, aux Entreprises et à la Réforme de la réglementation).

 

 

Les faits :

 

Avant le 3 avril 2006, il n’existait au Royaume-Uni aucune disposition législative interdisant les discriminations fondées sur l’âge en matière d’emploi et de travail. Les employeurs pouvaient licencier les salariés ayant atteint l’âge normal de la retraite en vigueur dans leur entreprise ou, à défaut, l’âge de 65 ans.

Le 3 avril 2006, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a transposé la directive 2000/78 en adoptant le règlement de 2006 relatif à l’égalité en matière d’emploi.

Une association caritative « Age Concern England » reproche à la législation britannique de prévoir une exception (article 30 du règlement de 2006 précité) au principe de non-discrimination lorsque le motif de licenciement d’un salarié âgé de 65 ans ou plus est le départ à la retraite. En effet, l’article 30-2 prévoit qu’ « aucune disposition des parties 2 et 3 ne permet de déclarer illégal le licenciement à l’âge de 65 ans ou plus d’une personne à laquelle le présent article s’applique lorsque le motif du licenciement est le départ à la retraite ».

Devant la juridiction de renvoi, les autorités du Royaume-Uni ont soutenu, pour leur part, que, conformément au quatorzième considérant de la directive 2000/78, aux termes duquel cette dernière « ne porte pas atteinte aux dispositions nationales fixant les âges de la retraite », les dispositions du règlement en cause au principal n’entrent pas dans le champ d’application de celle-ci.

A titre subsidiaire, elles ont fait valoir que ces dispositions sont conformes à l’article 6 de la dite directive qui admet que les Etats membres puissent « prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, pour des objectifs légitimes de politique de l’emploi du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ».

 

 

Plusieurs questions préjudicielles ont été posées à la CJCE :

 

S’agissant des âges nationaux de départ à la retraite et du champ d’application de la directive :


1) Le champ d’application de la directive s’étend-il aux règles nationales qui permettent aux employeurs de licencier des employés âgés de 65 ans ou plus pour motif de mise à la retraite?

2) Le champ d’application de la directive s’étend-il aux règles nationales qui permettent aux employeurs de licencier des employés âgés de 65 ans ou plus pour motif de mise à la retraite lorsque ces règles ont été introduites après l’adoption de la directive?

3) À la lumière des réponses qui seront données aux questions [qui précèdent]

– l’article 109 et l’article 156 de la loi de 1996 étaient-ils, et

– les articles 30 et 7 [du règlement], lus en combinaison avec les annexes 8 et 6 du règlement, sont-ils des dispositions nationales fixant les âges de la retraite au sens du quatorzième considérant de la directive?

S’agissant de la définition de la discrimination directe fondée sur l’âge, en particulier du motif de justification :

4) L’article 6, paragraphe 1, de la directive permet-il aux États membres d’adopter des dispositions légales prévoyant qu’une différence de traitement fondée sur l’âge n’est pas une discrimination s’il est établi qu’elle constitue un moyen proportionné d’atteindre un but légitime, ou bien ledit article 6, paragraphe 1, impose-t-il aux États membres de définir les types de différences de traitement qui sont susceptibles d’être justifiées de cette manière au moyen d’une liste ou de toute autre mesure qui soit semblable par sa forme et son contenu audit article 6, paragraphe 1?

S’agissant des critères de justification des discriminations directes et indirectes:

5) Existe-t-il une quelconque différence pratique significative, et, le cas échéant, laquelle, entre les critères de justification énoncés à l’article 2, paragraphe 2, de la directive à propos des discriminations indirectes et les critères de justification énoncés à l’article 6, paragraphe1, de la directive à propos des discriminations directes fondées sur l’âge?»

 

 


Conclusion de l’avocat général :

 

«1) La directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement et en matière d’emploi et de travail, s’applique aux règles nationales telles que le règlement qui permettent aux employeurs de licencier les employés âgés de 65 ans ou plus pour motif de mise à la retraite;

2) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 permet aux États membres d’adopter des dispositions légales aux termes desquelles une différence de traitement fondée sur l’âge n’est pas une discrimination si elle est destinée à être un moyen proportionné d’atteindre un but légitime au sens de l’article 6, paragraphe 1. Cependant, cet article n’impose pas aux États membres de définir les types de différences de traitement qui sont susceptibles d’être justifiés au sens de l’article 6, paragraphe 1, dans une liste ou dans toute autre mesure qui soit semblable par sa forme et son contenu à la liste de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78;

3) Une règle telle que celle en cause dans l’affaire au principal qui permet aux employeurs de licencier les employés âgés de 65 ans et plus lorsque le motif du licenciement est le départ à la retraite peut en principe être justifiée conformément à l’article objectivement et raisonnablement justifiée 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 si elle est, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime relatif à la politique de l’emploi et au marché du travail et dès lors que les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif d’intérêt général n’apparaissent pas inappropriés et non nécessaires à cet effet.»

 

 

 


Les réponses de la Cour :

 

1) Une réglementation nationale telle que celle édictée aux articles 3, 7, paragraphes 4 et 5, ainsi que 30 du règlement de 2006 relatif à l’égalité en matière d’emploi (âge), relève du champ d’application de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

2) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une mesure nationale qui, à l’instar de l’article 3 du règlement en cause au principal ne contient pas une énumération précise des objectifs justifiant qu’il puisse être dérogé au principe de l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge. Toutefois, ledit article 6, paragraphe 1, n’ouvre la possibilité de déroger à ce principe que pour les seules mesures justifiées par des objectifs légitimes de politique sociale tels que ceux liés à la politique de l’emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle. Il appartient au juge national de vérifier si la réglementation en cause au principal répond à un tel objectif légitime et si l’autorité législative ou réglementaire nationale pouvait légitimement estimer, compte tenu de la marge d’appréciation dont disposent les États membres en matière de politique sociale, que les moyens choisis étaient appropriés et nécessaires à la réalisation de cet objectif.

3) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 donne la possibilité aux États membres de prévoir, dans le cadre du droit national, certaines formes de différence de traitement fondée sur l’âge lorsqu’elles sont «objectivement et raisonnablement» justifiées par un objectif légitime, tel que la politique de l’emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. Il impose aux États membres la charge d’établir le caractère légitime de l’objectif invoqué à titre de justification à concurrence d’un seuil probatoire élevé. Il n’y a pas lieu d’attacher une signification particulière à la circonstance que le terme «raisonnablement», employé à l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, ne figure pas à l’article 2, paragraphe 2, sous b), de celle-ci.