CJCE, 16 oct. 2007, aff. C411-05, Felix Palacios de la Villa.:conformité d'une loi nationale autorisant l'insertion des clauses de mise à la retraite d'office dans des conventions collectives avec la directive 2000/78

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- Auteur(e) : Tiphaine Garat

CJCE, 16 oct. 2007, aff. C411-05, Felix Palacios de la Villa.

Une demande récente de décision préjudicielle posée à la CJCE le 14 novembre 2005 pose d’une manière frontale la question de savoir si la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement fait obstacle à une loi nationale autorisant l’insertion de clauses de mise à la retraite d’office dans des conventions collectives.


Il est vrai que la directive comporte des injonctions contradictoires : ne pas porter atteinte directement ou indirectement au principe d’égalité de traitement en ce qui concerne l’âge tout en ne portant pas atteinte aux dispositions nationales fixant les âges de la retraite.


Les faits


L’affaire concerne le droit espagnol qui a prévu depuis les années 80, comme beaucoup d’autres pays, un mécanisme de mise à la retraite d’office destiné à favoriser l’emploi intergénérationnel.


Cette loi autorise le gouvernement à pratiquer la mise à la retraite d’office comme instrument de la politique de l’emploi, et de limiter la capacité de travailler.


Cette même faculté est ouverte aux partenaires sociaux par biais de la négociation. La charge financière des départs précoces étant devenue trop lourde pour les régimes de sécurité sociale, le législateur a supprimé en 2001 la mise à la retraite d’office. Sous l’influence des partenaires sociaux, une forme de mise à la retraite d’office a été réinstaurée par une loi du 1er juillet 2005.


En l’espèce, un directeur d’une société espagnole s’était vu notifier la rupture de plein droit de son contrat de travail en raison du fait qu’il avait atteint l’âge de la mise à la retraite d’ office (65 ans) prévu par la convention collective applicable et qu’il avait accompli les périodes d’activité nécessaires pour bénéficier d’une pension de retraite à taux plein. De telles clauses conventionnelles de mises à la retraite d’office sont autorisées par la réglementation espagnole.


Introduisant un recours devant les juridictions nationales, le salarié demande que la mesure dont il a fait l’objet soit déclarée nulle et non avenue, au motif qu’elle viole ses droits fondamentaux et, plus particulièrement, son droit à la non discrimination en raison de l’âge, ladite mesure reposant sur la seule circonstance qu’il avait atteint l’âge de 65 ans.


La juridiction espagnole a décidé de surseoir à statuer, et a demandé à la CJCE si le principe d’égalité de traitement, consacré par la directive 2000/78, fait obstacle à une loi nationale selon laquelle de telles clauses de mise à la retraite d’ office sont considérées comme valables. En cas de réponse positive, le principe d’égalité de traitement, oblige-t-il le juge national à écarter l’application de ladit disposition ?


Conclusions de l'avocat général


Pour l’avocat général, « la discrimination en fonction de l’âge peut être graduée. » Il invoque aussi un élément factuel : puisque les distinctions fondées sur l’âge sont largement répandues dans le cadre des politiques sociales et de l’emploi, l’application de l’interdiction de discrimination exige une appréciation « complexe et subtile ». Par ailleurs, puisque ces questions sont intimement liées à la politique sociale, compétence essentiellement nationale, il ne faudrait pas que la question de l’âge devienne une épée de Damoclès suspendue sur l’ensemble des dispositions nationales. L’avocat précise que rien ne semble indiquer qu’une disposition prévoyant la mise à la retraite d’office ou la fixation d’un âge de la retraite irait au-delà de ce qui est nécessaire et approprié. Or les défis démographiques et les contraintes budgétaires sont bien là et le principe de non discrimination qui a un effet direct doit pouvoir être invoqué par tout salarié qui s’estime laissé sans être sacrifié sur l’hôtel de la politique de l’emploi.


Les conclusions auxquelles il aboutit ne laissent de surprendre : une disposition qui fixe un « âge obligatoire de la retraite ne concerne pas, aux fins de la directive 2000/78, les conditions de travail et d’emploi y compris les conditions de licenciement » Pourtant la clause couperet figure dans une convention collective et l’effet se répercute sur un contrat de travail, deux éléments qui sont bien dans le champ du droit du travail et ne concerne pas que le droit de la protection sociale « fixant les âges de la retraite ».


Mais la partie la plus surprenante de l’argumentation figure à la fin des conclusions. L’avocat général s’interroge sur la portée de l’arrêt Mangold qui a statué sur un cas de discrimination en fonction de l’âge figurant dans la législation allemande. Il rappelle que la Cour, appelée à se prononcer pour la première fois sur ce point, a affirmé d’emblée que « le principe de non discrimination en fonction de l’âge doit... être considéré comme un principe général du droit communautaire. » Cette révérence devant l’acquis communautaire en matière de non- discrimination est suivie d’une chute surprenante : « nous ne tenons pas pour particulièrement contraignante la conclusion tirée de l’arrêt Mangold en ce qui concerne l’existence d’un principe général de non discrimination en fonction de l’âge.... Nous pouvons conclure que même au regard de l’existence d’un principe général de non discrimination en fonction de l’âge, une règle nationale telle que celle en l’espèce ne serait pas incompatible avec le droit communautaire ». Il faut espérer que la Cour dans sa décision ne retiendra pas une telle vision qui instrumentalise le principe de non discrimination et donne aux Etats la faculté de construire une multitude d’exceptions qui le videront de sa substance.


La décision de la CJCE


Dans cet arrêt du 16 octobre 2007, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a jugé qu’une mesure nationale de mise à la retraite d’ office en fonction de l’ âge n’est pas contraire à la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’ égalité de traitement en matière d’emploi et de travail à condition qu’elle soit « objectivement et raisonnablement » justifiée, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime relatif à la politique de l’emploi et au marché du travail, et que les moyens mis en oeuvre pour réaliser cet objectif d’ intérêt général n’apparaissent pas inappropriés et non nécessaires à cet effet.


Différence de traitement au regard de la directive 2000/78


La directive 2000/78 tend à établir un cadre général pour assurer à toute personne l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, et vise à lutter contre les discriminations, y compris celles relatives à l’âge. Ce texte concerne notamment les conditions de licenciement.


La Cour de justice des communautés européennes a tout d’abord affirmé que la directive 2000/78 était applicable aux circonstances de l’affaire. En effet, cette réglementation nationale « affecte la durée du rapport de travail liant les parties ainsi que, plus généralement, l’exercice par le travailleur concerné de son activité professionnelle en empêchant la participation future de celui-ci à la vie active ».


Elle a ensuite relevé que la réglementation en cause impose « de manière directe un traitement moins favorable aux travailleurs ayant atteint l’ âge fixé pour l’admission à la retraite par rapport à l’ensemble des autres personnes en activité » et constitue donc, en principe, une discrimination interdite par la directive 2000/78.


Objectif légitime et moyens appropriés


Néanmoins, l’article 6 paragraphe 1 de la directive prévoit que « des différences de traitement fondées sur l’ âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ».


La Cour a donc examiné si la législation espagnole autorisant la mise à la retraite d’office pouvait être justifiée compte tenu d’une part de ses objectifs et d’autre part de ses moyens.


Elle a tout d’abord considéré qu’un manque de précision de la réglementation nationale quant à l’ objectif poursuivi n’exclut pas automatiquement que celle-ci puisse être justifiée. En effet, « d’autres éléments, tirés du contexte général de la mesure concernée, permettent l’identification de l’objectif sous-tendant cette dernière aux fins de l’exercice d’un contrôle juridictionnel quant à sa légitimité ».


En l’occurence, la CJCE a déduit du contexte de l’adoption de la réglementation espagnole que celle-ci « vise à réguler le marché national de l’emploi, notamment aux fins d’ enrayer le chômage ». Or « la légitimité d’un tel objectif d’intérêt général ne peut pas être raisonnablement mis en doute ». La Cour européenne a d’ailleurs déjà jugé que la promotion de l’embauche constitue incontestablement un objectif légitime de politique sociale ou de l’emploi des États membres (CJCE, 11 janvier 2007, aff. C-208-05).


Par ailleurs, pour la Cour, les moyens mis en oeuvre pour réaliser cet objectif d’intérêt général n’apparaissaient pas inappropriés, et non nécessaires pour atteindre l’objectif légitime invoqué dans le cadre de la politique nationale de l’emploi et consistant à promouvoir le plein emploi en favorisant l’accès au marché du travail.


En outre, ladite mesure ne saurait être regardée comme portant une atteinte excessive aux prétentions légitimes des travailleurs mis à la retraite d’office dès lors que la règlementation ne se fonde pas seulement sur un âge déterminé, mais prend également en considération la circonstance que les intéressés bénéficient d’une compensation financière au moyen de l’octroi d’une pension de retraite dont le niveau ne saurait être considéré comme déraisonnable.


En conséquence, elle a considéré qu’une telle réglementation n’était pas incompatible avec les exigences de la directive 2000/78.