Activité partielle : mécanisme central de soutien des entreprises face à la crise sanitaire

Organisation du travail

- Auteur(e) : Evdokia Maria Liakopoulou

Activité partielle : mécanisme central de soutien des entreprises face à la crise sanitaire

Le dispositif de l’activité partielle s’érige en mécanisme central pour la préservation des compétences des entreprises et l’évitement des licenciements pendant cette période de crise sanitaire. Il vient d’être sensiblement reformé par un décret du 25 mars 2020[1] et adapté par une ordonnance du 27 mars 2020[2]. Les modalités de mise en œuvre de l’activité partielle sont considérablement assouplies (1) et le champ d’application du dispositif  étendu (2). De même, les modalités de calcul de l’indemnité versée au salarié et celle versée aux entreprises sont modifiées et améliorées (3).  

 

Pour rappel :

Le dispositif de l’activité partielle permet de prendre en charge les situations dans lesquelles les entreprises connaissent une baisse d’activité, pour l'un des motifs énumérés à l’article R. 5122-1 du code du Travail :

-La conjoncture économique ;
-Des difficultés d'approvisionnement en matières premières ou en énergie ;
-Un sinistre ou des intempéries de caractère exceptionnel ;

-La transformation, restructuration ou modernisation de l'entreprise ;
-Toute autre circonstance de caractère exceptionnel.

Selon l’article L. 5122-1 du code du Travail, la baisse d’activité peut prendre deux formes :

-Soit une fermeture temporaire de tout ou partie de l'établissement ;

-Soit une réduction de l’horaire de travail pratiqué dans l’établissement ou partie de l’établissement en deçà de la durée légale de travail.

En cas de réduction collective de l'horaire de travail, les salariés peuvent être placés en position d'activité partielle individuellement et alternativement.

Pendant la période de l’activité partielle :

Les salariés reçoivent une indemnité horaire, versée par leur employeur, correspondant à une part de leur rémunération antérieure dont le pourcentage est fixé par décret en Conseil d'Etat. L'employeur perçoit une allocation financée conjointement par l'Etat et l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage. Une convention conclue entre l'Etat et cet organisme détermine les modalités de financement de cette allocation.

Dans le cas de la crise actuelle, le ministère du Travail a publié le 24 mars un schéma illustrant ces instructions transmises aux Direccte pour identifier les entreprises pouvant avoir recours au dispositif de l’activité partielle :

 

                                                                                                 Source : ministère du Travail

 

1.L’assouplissement des modalités de mise en œuvre de l’activité partielle

Le décret du 25 mars opère une accélération de la procédure de mise en œuvre du dispositif. Le tableau synthétique qui suit présente le régime antérieur et le régime applicable après l’entrée en vigueur du décret.

 

Procédure antérieure

Procédure après l’entrée en vigueur du décret

Demande d’autorisation

En principe, l'employeur doit adresser au préfet du département où est implanté l'établissement concerné une demande préalable d'autorisation d'activité partielle.

Exception : en cas de suspension d'activité due à un sinistre ou à des intempéries de caractère exceptionnel, l'employeur dispose d’un délai de 30 jours pour adresser la demande rétroactivement.

L'employeur pourra adresser sa demande dans un délai de 30 jours à compter du placement des salariés en activité partielle lorsque la demande est justifiée par le motif de circonstances exceptionnelles.

Consultation préalable du CSE

En principe, pour les entreprises d’au moins 50 salariés, la démarche de l’employeur doit être précédée de la consultation du CSE, dont l’avis doit accompagner la demande d’activité partielle.

Par dérogation, en cas de sinistre ou d’intempérie de caractère exceptionnel ou d’autres circonstances de caractère exceptionnel, cet avis peut être recueilli postérieurement à la demande d’activité partielle et transmis dans un délai d'au plus 2 mois à compter de cette demande.

Décision d’autorisation ou de refus

La décision d'autorisation ou de refus doit être notifiée à l'employeur dans un délai de 15 jours à compter de la date de réception de la demande. A défaut, la demande est réputée acceptée.

Jusqu'au 31 décembre 2020, le délai d'acceptation exprès ou tacite des demandes d'autorisation préalable est ramené de 15 à 2 jours.

Période couverte par l’autorisation de mise en activité partielle

Les demandes peuvent couvrir une période maximale de 6 mois.

Les demandes peuvent couvrir une période maximale de 12 mois[3].

Demande entreprises multi-établissements

Demande d’autorisation par établissement concerné.

Selon la dernière note du ministère du Travail[4], l’application informatique permettant le dépôt des demandes sera paramétrée dans le courant du mois d’avril 2020 pour permettre le téléchargement de l’ensemble des données requises en une seule fois par un utilisateur.

Pour encore quelques jours, les données devront être importées établissement par établissement.

Informations aux salariés

L’employeur doit fournir au salarié un document spécifique prévu par l’article R.5122-17 du code du Travail,  mentionnant les informations relatives à l’activité partielle.

Désormais, le bulletin de paie du salarié placé en activité partielle devra porter les mentions suivantes :

 

-Le nombre d’heures chômées indemnisées au titre de l’activité partielle ;  

-Le taux appliqué pour le calcul de l’indemnité ;

-Le montant de l’indemnité correspondante versée au salarié.

 

*** Les employeurs ont 12 mois à compter de la publication du décret pour respecter cette obligation. Pendant ce temps, ils peuvent continuer d'appliquer les dispositions de l'article R. 5122-17 du code du Travail.

 

 

2. L’extension du champ d’application du dispositif

L’ordonnance du 27 mars ouvre le bénéfice du dispositif d’activité partielle à des nouveaux publics.

Tout d'abord, les entreprises publiques, jusqu'ici non éligibles, se voient accorder cette possibilité. Les salariés de droit privé des entreprises inscrites au répertoire national des entreprises contrôlées majoritairement par l'Etat (RTE, ADP, SNCF, RATP etc. ), ainsi que les salariés soumis au statut national du personnel des industries électriques et gazières (IEG) peuvent désormais être placés en activité partielle.

Ensuite, le dispositif est étendu aux salariés employés par les régies dotées de la seule autonomie financière, qui gèrent un service public à caractère industriel et commercial (SPIC) de remontées mécaniques ou de pistes de ski. Cette mesure vise à répondre à la crise actuelle des sports d'hiver.

Pourront également bénéficier de ce dispositif les entreprises étrangères ne comportant pas d'établissement en France et qui emploient au moins un salarié sur le territoire national, à condition d'être affiliées au régime français de sécurité sociale et à l'assurance chômage.

L’ordonnance permet encore la prise en compte, à titre temporaire et exceptionnel, des salariés employés à domicile et des assistants maternels. Le dispositif est simplifié pour s’adapter à leur spécificité. Les particuliers employeurs sont ainsi dispensés de l'obligation de disposer d'une autorisation de l'autorité administrative. L'indemnité horaire versée par l'employeur est égale à 80 % de la rémunération nette et ne peut être inférieure aux minima fixés par leur convention collective (pour les employés à domicile), ou par la réglementation (pour les assistants maternels).  Elle fera l'objet d'un remboursement intégral par l'Etat, par l'intermédiaire des URSSAF. Il faut noter qu’un décret déterminera les modalités d’application concernant le chiffrage de cette indemnité.

L’ordonnance semble viser deux catégories de salariés initialement exclus du bénéfice de l’activité partielle : les voyageurs représentants placiers (VRP) et les cadres-dirigeants. Elle dispose en effet que, pour l'employeur de salariés qui ne sont pas soumis aux dispositions légales ou conventionnelles relatives à la durée du travail, les modalités de calcul de l'indemnité et de l'allocation sont déterminées par décret. Il faudra ainsi attendre la sortie du décret d'application de l’ordonnance pour confirmer les publics visés.

Enfin, les salariés protégés se voient imposer l’activité partielle dès lors qu'elle affecte tous les salariés de l'entreprise, de l'établissement, du service ou de l'atelier auquel est affecté ou rattaché l'intéressé. Il en résulte ainsi que l’employeur n’est pas tenu de recueillir l’accord des salariés protégés pour les placer en activité partielle. Il en résulte inversement que lorsque l’activité partielle ne concerne qu’une partie du personnel, cet accord sera requis.

 

3.La modification et l’amélioration des règles de rémunération

  • Indemnité versée au salarié

L’indemnité d’activité partielle versée aux salariés dont l’activité est simplement interrompue n’est pas modifiée. Globalement, les salariés placés en activité partielle percevront une indemnité garantissant un revenu de remplacement à hauteur de 70 % minimum de leur salaire antérieur brut, soit 84% de leur salaire net, sans que cette indemnisation ne puisse être inférieure à 8,03 euros (sous réserve de dispositions conventionnelles ou d’une décision unilatérale de l’employeur plus favorable).

 

Régime de l’équivalence. Dans certains secteurs déterminés par des textes règlementaires ou conventionnels (par exemple, les commerces de denrées alimentaires, le gardiennage, les hôpitaux, les services d’incendie, les casinos, les transports routiers), la durée du travail effectif et la rémunération sont fixées en référence à une durée dite « d’équivalence »[5].

Initialement, en cas d’activité partielle, la règle de principe veut que seules les heures de travail perdues sous la durée légale (35 h) sont indemnisables[6]. Pour l’administration, ainsi, les heures d’équivalence perdues n’étaient pas indemnisables au titre de l’activité partielle[7].

L’ordonnance du 27 mars prévoit désormais la prise en compte des heures d’équivalence normalement travaillées pour le calcul de l’indemnité et de l’allocation d’activité partielle. La durée considérée comme équivalente est prise en compte en lieu et place de la durée légale du travail. Le décret d’application de l’ordonnance fixera les modalités selon lesquelles les salariés des secteurs en régime d’équivalence sont indemnisés.

 

Forfait jours. Auparavant, les salariés au forfait annuel en jours ou en heures ne pouvaient bénéficier de l'indemnité d'activité partielle qu’en en cas de fermeture totale de l'établissement ou d'une partie de l'établissement dont ils relevaient, et non en cas de réduction de l’activité. Suite au décret du 25 mars, les salariés en forfait ont désormais droit à l’activité partielle, lorsque celle-ci prend la forme d’une réduction de l’horaire de l’établissement.

S’agissant des  modalités particulières de calcul de l’indemnité et de l’allocation d’activité partielle, l’ordonnance du 27 mars prévoit que la détermination du nombre d’heures prises en compte sera effectuée en convertissant un nombre de jours ou de demi-journées, selon des modalités à fixer par le décret à paraitre.

 

Salariés à temps partiel. L’ordonnance du 27 mars effectue une extension du mécanisme de la « rémunération mensuelle minimum » (RMM) aux salariés à temps partiel placés en position d’activité partielle.

Ce mécanisme garantit que le salarié ait au moins une rémunération au niveau du SMIC net, l’employeur devant, si nécessaire, verser une allocation complémentaire. En temps normal, ce mécanisme ne bénéficiait qu’aux salariés à temps plein[8].

Pour remédier à cette difficulté, l’ordonnance du 27 mars prévoit que le taux horaire de l’indemnité d’activité partielle versée aux salariés à temps partiel ne peut être inférieur au taux horaire du SMIC. Toutefois, lorsque le taux horaire de rémunération du salarié est inférieur au taux horaire du SMIC, le taux horaire de l'indemnité d'activité partielle qui lui est versée est égal à ce taux horaire de rémunération.

 

Apprentis et contrats de professionnalisation. L’ordonnance du 27 mars prévoit que les salariés en contrat d'apprentissage ou de professionnalisation placés en activité partielle ne subiront aucune perte de rémunération, puisque ils percevront une indemnité d’un montant égal au pourcentage du SMIC qui leur était applicable antérieurement.

 

Salariés en formation. En principe, les salariés en formation durant une période de chômage partiel, perçoivent une indemnisation à hauteur de 100 % de la rémunération nette antérieure (et non pas 84 %)[9].

L’ordonnance du 27 mars suspend cette règle pour les formations accordées par l’employeur après sa publication, soit le 28 mars 2020. Les intéressés seront donc indemnisés selon le régime général, à hauteur de 70 % de la rémunération brute.

 

  • Allocation versée à l’employeur

Le mode de calcul de l’allocation versée à l’employeur est modifié. L’allocation d’activité partielle versée à l’employeur, mise en paiement par l’agence de services et de paiement (ASP) et cofinancée par l’État et l’Unédic, n’est plus forfaitaire mais proportionnelle à la rémunération des salariés placés en activité partielle[10]. Elle couvre désormais 70% de la rémunération antérieure brute du salarié, telle que calculée à l'article R. 5122-12 du code du Travail, dans la limite d’une rémunération de 4,5 SMIC. Ce taux horaire ne peut être inférieur à 8,03 euros, sauf pour les personnes en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation.

 

  • Calcul de la contribution sociale généralisée (CSG)

La loi d’urgence sanitaire[11] a habilité le gouvernement à simplifier par voie d’ordonnance le régime social des indemnités d’activité partielle.

L’ordonnance du 27 mars prévoit ainsi que, par dérogation,  les indemnités d’activité partielle versées aux salariés, mais aussi les indemnités complémentaires versées par l’employeur en application d’un accord collectif ou d’une décision unilatérale de l’employeur sont assujetties à la CSG au taux de 6,2 % et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) de 0,50 %.

Ce faisant, elle écarte temporairement les règles, eu égard au revenu fiscal de référence des bénéficiaires, d’exonération de CSG/CRDS, ou d’application d’un taux réduit de CSG.

 

Activité partielle : derniers chiffres clés 

Auditionnée par les sénateurs de la commission des Affaires sociales, Muriel Pénicaud a dressé le premier bilan du dispositif de l’activité partielle. Au 6 avril, il concerne déjà 544 000 entreprises et près de 5,8 millions de salaries, pour un total de 2,4 milliards d'heures chômées demandées. Selon les estimations de la ministre du travail, il pourrait coûter 19,6 milliards d'euros à l’Etat. Ce chiffre est pourtant « très évaluatif », car il relève de plusieurs facteurs inconnus, dont la durée du confinement.

 

 

 

[1]Décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 relatif à l'activité partielle. Sauf exception, ses dispositions s’appliquent à compter du 26 mars 2020 au titre du placement en chômage partiel de salariés depuis le 1er mars 2020.

[2]Ordonnance n° 2020-346 du 27 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle. Un décret précisera la durée d’application de l’ordonnance qui ne pourra pas être applicable au-delà du 31 décembre 2020. Son application ne pourra pas dépasser le 31 décembre 2020.

[3] La durée maximale d’autorisation de mise en activité partielle ayant été portée de six à 12 mois, le nombre d’heures indemnisables est conséquemment augmenté. Un arrêté du 31 mars 2020 fixe à 1607 heures par salarié le contingent annuel d’heures indemnisables au titre de l’activité partielle pour 2020, au lieu de 1000 heures fixées habituellement en vertu de l’arrêté du 26 août 2013.

[4] Ministère du travail, Dispositif  exceptionnel d’activité partielle : précisions sur les évolutions  procédurales et questions-réponses, Dernière mise à jour : 3 avril 2020.

[5] Articles L. 3121-13 à L. 3123-15 du code du Travail.

[6] Articles L. 5122-1 et R. 5122-19 du code du Travail.

[7] Circulaire DGEFP 2013-12 du 12 juillet 2013, notice technique, fiche 5 désormais non applicable.

[8] Article L. 3232-1 du code du Travail.

[9] Article R. 5122-18 du code du Travail.

[10] Article R. 5122-12 du code du Travail.

[11] Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19.