Motifs prohibés de discrimination : la Cour de cassation opte pour une notion étendue de « la situation de famille »

Égalité dans le travail
Non-discrimination

- Auteur(e) : Evdokia Maria Liakopoulou

« La situation de famille en tant que critère prohibé de discrimination, ne se réduit pas à la situation du salarié qui se dit victime de discrimination, mais peut également viser celle de la personne avec laquelle il se compare ». C’est ainsi que juge la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 9 avril 2025.

Pour rappel :

Selon l’article L1132-1 du Code du travail :

« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».

En l’espèce, une collaboratrice parlementaire a été licenciée en raison de la cessation du mandat de député de son employeur. Elle saisit la juridiction prud’homale de demandes en paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire en raison d’une inégalité de traitement fondée sur le critère de la situation de famille. En comparant sa situation à celle d’une autre collaboratrice parlementaire, épouse du député, elle invoque en effet une discrimination salariale tenant à un salaire supérieur et à des primes exceptionnelles perçus par celle dernière.

L’employeur soutient que le critère prohibé de discrimination tenant à la situation de famille, vise la seule situation de famille de la salariée qui invoque la discrimination. Et que la différence de traitement entre les deux collaboratrices se justifie par le caractère plus politique des fonctions de son épouse, qualifiées comme « nombreuses, variées et sensibles, et exigeant une disponibilité et une confidentialité totales ».

Or la cour d’appel ne retient pas cette argumentation. Pour les juges, la situation de famille « peut se définir par des critères propres à la personne discriminée, mais aussi par comparaison à d’autres situations de famille prises en compte au détriment de la personne discriminée ». En l’espèce l’employeur, en associant  la garantie de disponibilité et de confidentialité sur la seule qualité d'épouse de sa seconde collaboratrice, « c'est donc par un critère familial prohibé, celui de ne pas appartenir à son cercle familial, qu'il justifie la différence de traitement ».

L’employeur se pourvoit ainsi en cassation. Or la Haute juridiction valide l’argumentation des premiers juges et rejette le pourvoi. La Cour, tout en rappelant les dispositions de l’article L1132-1 du Code du travail, relève que le traitement différencié fondé sur le défaut d'appartenance du salarié à la famille de son employeur, est discriminatoire.

Elle s’aligne à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne décidant que le principe de l'égalité de traitement s'applique « non pas à une catégorie de personnes déterminée, mais en fonction des motifs prohibés visés aux dispositions des directives en matière de discrimination », pour juger que le critère de la situation de famille s’applique aussi à celle d’un collègue, lorsqu’elle fonde une inégalité de traitement.

Cela étant, « c’est à bon droit, que la cour d'appel a retenu que le motif de discrimination prohibé tenant à la situation de famille était applicable en l'espèce, dès lors que l'employeur entendait justifier la différence de traitement en matière de rémunération entre la salariée et la salariée de comparaison par la qualité d'épouse de cette dernière », conclut la Cour.

Cass. soc., 9 avr. 2025, pourvoi no 23-14.016