Dans quel délai doit agir un employeur qui souhaite contester le principe du paiement d’une expertise du comité social et économique (CSE) dont il estime qu’il n’avait pas à prendre en charge le coût? Telle était la question sur laquelle la Cour de Cassation a été amenée à se prononcer dans un arrêt du 18 octobre 2023. Pour la Cour, un tel recours relève de la possibilité pour l’employeur de contester la nécessité même de l’expertise.
Pour rappel : Selon l’article L2315-86 du Code du travail : « Sauf dans le cas prévu à l'article L. 1233-35-1, l'employeur saisit le juge judiciaire dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat de : 1° La délibération du comité social et économique décidant le recours à l'expertise s'il entend contester la nécessité de l'expertise ; 2° La désignation de l'expert par le comité social et économique s'il entend contester le choix de l'expert ; 3° La notification à l'employeur du cahier des charges et des informations prévues à l'article L. 2315-81-1 s'il entend contester le coût prévisionnel, l'étendue ou la durée de l'expertise ; 4° La notification à l'employeur du coût final de l'expertise s'il entend contester ce coût ; Le juge statue, dans les cas 1° à 3°, suivant la procédure accélérée au fond dans les dix jours suivant sa saisine. Cette saisine suspend l'exécution de la décision du comité, ainsi que les délais dans lesquels il est consulté en application de l'article L. 2312-15, jusqu'à la notification du jugement. Cette décision n'est pas susceptible d'appel. En cas d'annulation définitive par le juge de la délibération du comité social et économique, les sommes perçues par l'expert sont remboursées par ce dernier à l'employeur. Le comité social et économique peut, à tout moment, décider de les prendre en charge. ». Dans ce cadre, l’article R2315-49 du même Code précise que : « Pour chacun des cas de recours prévus à l'article L. 2315-86, l'employeur saisit le juge dans un délai de dix jours. ». |
En l’espèce, par deux délibérations datant du 28 février 2019 et du 21 mars 2019, le CSE d’une société a décidé de recourir à un expert pour l’assister respectivement à : la consultation annuelle obligatoire portant sur la situation économique et financière de l'entreprise et la consultation annuelle sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi. Dans les deux cas, le même cabinet d’expertise a été désigné. A l’issue de sa mission, l’expert a adressé sa facture définitive pour un solde d'honoraires à l'employeur.
L’employeur forme un recours en annulation devant le tribunal judiciaire contre ces deux délibérations du CSE. Il soutient en effet que ces expertises ne relevaient pas des consultations récurrentes dont se prévalait le comité, car votées avant la transmission des comptes et le dépôt des documents d'information utiles à la base des données économiques et sociales. Conséquemment, selon l’employeur, elles constituaient des expertises libres qu’il n’avait pas à financer. A noter que l’employeur avait formé son recours dans le délai prévu à l’article L2315-86, cas 4o du Code du travail, à savoir dans les dix jours suivant la notification de la facture finale de l’expertise afin de contester son coût (soit le 2 août 2019).
Or, le juge judiciaire juge irrecevable pour cause de forclusion la demande de l’employeur. Il estime en effet que « ce n'était pas le coût final de l'expertise que la société contestait mais le principe du paiement de ce coût », en sorte que cette contestation s’approche finalement à la contestation de la nécessité même de l'expertise. L’employeur devait donc agir dans les dix jours suivant la date de délibération du CSE (cas 1o de l’article L2315-86 du Code du travail).
L’employeur se pourvoit ainsi en cassation. Selon lui, son action n’était possible qu’au moment où il lui avait été demandé d’assumer ce coût final. A tort, selon la Cour de cassation. La Cour confirme que « l'employeur ne critique ni le montant des factures qui lui ont été adressées ni le coût final des expertises mais conteste le principe de son paiement ». Cette contestation doit être considérée donc comme une contestation de la nécessité de l’expertise.
En tenant compte de la nature de la contestation, la Haute juridiction rappelle que le délai de dix jours ne court qu'à compter du jour où l'employeur a été mis en mesure de connaître la nature et l’objet de l’expertise. Or, en l’espèce, « l'employeur était informé des délibérations adoptées lors des séances du CSE des 28 février et 21 mars 2019 auxquelles il assistait et de leurs conséquences, notamment du fait qu'il devrait prendre en charge le montant des expertises ordonnées en vue de consultations récurrentes et qu'il a réglé, sans contestation, l'acompte réclamé par l'expert désigné ». Il s’en suit que le président du tribunal « en a exactement déduit que la saisine tardive du 2 août 2019 aux fins de contester la nature des expertises litigieuses était irrecevable pour cause de forclusion ».
Cass., Soc., Pourvoi n° 22-10.761