Revirement en matière du droit de la preuve : un mode de preuve obtenu de manière illicite ou déloyale doit désormais être accueilli aux débats

Emploi

- Auteur(e) : Chela BINDA

Un nouvel arrêt rendu le 22 décembre 2023 par l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation change le régime quant au droit à la preuve.

En l’espèce, un salarié qui exerce à domicile est mis à pied, puis licencié pour faute grave. L’employeur saisi d’abord le juge pour non-exécution du préavis et préjudice commercial, tandis que le salarié conteste son licenciement et demande les indemnités afférentes.

La Cour d’appel d’Orléans, dans un arrêt rendu le 28 juillet 2020, déclare irrecevables les éléments de preuve obtenus à travers des enregistrements clandestins durant les entretiens de licenciement, et le prononce alors sans cause réelle et sérieuse. L’employeur se pourvoit en cassation. Dans ce cadre, il affirme que l’obtention de l’enregistrement audio, même à l’insu du salarié, est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et à la protection de ses intérêts, garanti par le droit à un procès équitable, protégé à l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

La question de droit qui se pose ici est la suivante : une preuve obtenue de manière illicite peut-elle être produite aux débats indispensable à l’exercice du droit à la preuve en vertu du droit à un procès équitable ?

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel en se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne les droits de l’Homme « qui ne retient pas le principe d’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales » : les juges ne doivent plus écarter d’office une preuve déloyale ou obtenue de manière illicite, et doivent procéder à un contrôle de proportionnalité c’est-à-dire une « mise en balance des différents droits et intérêts en présence ». La nécessité d’exercer ce contrôle empêche donc d’écarter toute preuve déloyale ou illicite des débats comme l’énonce la Cour dans son attendu de principe :

 

« Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

 

La portée de cet arrêt est large et concerne tout procès civil, ne se limitant donc pas qu’aux affaires en droit du travail. La solution ne réside évidemment pas en une invitation à prioriser la déloyauté quant à l’obtention et la production des preuves : cette solution est intéressante car elle constitue un revirement basé sur une mise en conformité avec le droit européen et plus particulièrement le droit à un procès équitable, qui entrait en confrontation avec le principe français d’écartement des pièces illicites et déloyales, désormais désuet et ce pour « tout procès civil ».

Cass, soc, 22 décembre 2023, n°20-20.648