Les juges de cassation affirment la liberté des partenaires sociaux de déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts

- Auteur(e) : Altina POTOKU

Il revenait aux Hauts magistrats dans cet arrêt de répondre à la question de savoir si le juge doit effectuer un contrôle quant à la reconnaissance des établissements distincts alors même que le législateur n’a défini aucun critère et a laissé une grande liberté aux partenaires sociaux quant à la détermination des établissements distincts lorsqu’il s’agit d’un cadre négocié.

En l’espèce, la société Air France a signé avec quatre organisations syndicales un accord d’entreprise nommé « accord relatif à la mise en place des comités sociaux et économiques d’établissement et du comité social économique central d’entreprise au sein de l’entreprise Air France – périmètres des établissements distincts de méthode ». Ledit accord prévoit la division de l’entreprise en sept établissements.

Le syndicat des pilotes d’Air France (SPAF) a assigné la société et les syndicats signataires devant le tribunal de grande instance, afin de demander l’annulation de l’accord d’entreprise du 22 juin 2018, ainsi que la mise en place d’un établissement distinct et d’un comité social et économique propres aux pilotes de ligne. La cour d’appel déboutant le SPAF de ses demandes, ce dernier décide de se pourvoir en cassation.

Le SPAF retient que les partenaires sociaux, pour déterminer, par accord d'entreprise, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissement, ont l'obligation de tenir compte des différentes attributions de ces comités, et notamment des deux missions de la délégation du personnel. Celles-ci consistent, pour la première, à présenter à l'employeur les réclamations individuelles ou collectives des salariés, et, pour la seconde, à promouvoir la santé, la sécurité et l'amélioration des conditions de travail dans l'entreprise, afin de favoriser l'exercice efficace de ces missions. Tandis quela cour d’appel retient que « les critères retenus pour déterminer le nombre et le périmètre distincts relevaient « de la seule liberté des partenaires sociaux. »

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le SPAF. Tout d’abord, elle rappelle qu’un accord d'entreprise, conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 2232-12, détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts. L'article L. 2313-3 prévoit également qu'en l'absence d'accord conclu dans les conditions mentionnées à l'article L. 2313-2 et en l'absence de délégué syndical, un accord entre l'employeur et le comité social et économique, adopté à la majorité des membres titulaires élus de la délégation du personnel du comité, peut déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts.

Ensuite, les juges retiennent que reconnaître, en l’espèce un contrôle du juge, alors même que le législateur n’a défini aucun critère, serait en contradiction avec la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 qui, dans son article 5, énonce que : « Les États membres peuvent confier aux partenaires sociaux au niveau approprié, y compris au niveau de l'entreprise ou de l'établissement, le soin de définir librement et à tout moment par voie d'accord négocié les modalités d'information et de consultation des travailleurs. » Les juges de cassation semblent par cet arrêt prendre le soin de respecter et adapter ladite directive à la réalité nationale, afin de se conformer à la législation de l’Union européenne.

Les juges de cassation affirment pleinement la liberté des partenaires sociaux de déterminer et de fixer le nombre et le périmètre des établissements distincts. Cependant, la Cour pose une seule limite : « à la condition toutefois, eu égard au principe de participation consacré par l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qu'ils soient de nature à permettre la représentation de l'ensemble des salariés ».

 

Cass. soc., 1er février 2023, n° 21-15.371 B+R