Jurisprudence : quelle contrepartie en termes d'embauche d'un salarié mis à la retraite d'office par l'employeur avant 65 ans ?

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- Auteur(e) : Tiphaine Garat

Cass. soc.18 octobre 2007, n°06-41.586 FS-PB


 

Cour de Cassation Chambre sociale Audience publique du 18 octobre 2007 Cassation partielle

 

N° de pourvoi : 06-41586 Publié au bulletin

 

Président : Mme COLLOMP

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

 

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... a été engagé par la société Cerberus, aux droits de laquelle vient la société Siemens, le 1er avril 1997, en qualité d’ingénieur commercial après vente, fonction qu’il exerçait dans la région niçoise ; que, considérant irrégulière sa mise à la retraite par lettre du 20 novembre 2002 dans le cadre des stipulations de l’article 31-2 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie, il a saisi la juridiction prud’homale pour faire juger que sa mise à la retraite constituait un licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour obtenir le paiement de diverses sommes à titre, notamment, de rappel de salaire et de prime de participation ;

 

Sur le moyen unique du pourvoi de l’employeur :

 

Vu l’article 31-2 de la convention collective nationale des cadres et ingénieurs de la métallurgie dans sa rédaction résultant de l’avenant du 29 janvier 2000 à l’accord national du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dans la métallurgie ;

 

Attendu que, selon ce texte, la mise à la retraite, à l’initiative de l’employeur, d’un ingénieur ou cadre âgé de moins de 65 ans qui peut bénéficier d’une pension vieillesse à taux plein au sens du code de la sécurité sociale et qui peut faire liquider sans abattement les retraites complémentaires AGIRC et ARRCO auxquelles l’employeur cotise avec lui sur les tranches A et B des rémunérations ne constitue pas un licenciement lorsque cette mise à la retraite s’accompagne dune des cinq dispositions suivantes : conclusion par l’employeur d’un contrat d’apprentissage, conclusion par l’employeur d’un contrat de qualification, embauche compensatrice déjà réalisée dans le cadre d’une mesure de pré-retraite progressive ou de toute autre mesure ayant le même objet, conclusion par l’employeur d’un contrat à durée indéterminée, conclusion avec l’intéressé, avant sa mise à la retraite, d’un avenant de cessation partielle d’activité telle que définie à l’article R. 322-7-2 du code du travail ; qu’à la demande écrite de l’ingénieur ou cadre mis à la retraite, l’employeur doit justifier de la conclusion du contrat d’apprentissage ou de qualification, ou du remplacement par contrat à durée indéterminée, en communiquant à l’intéressé soit le nom du titulaire du contrat si celui-ci ne s’y oppose pas, soit son identification codée ;

 

Attendu que pour dire que la mise à la retraite s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que l’employeur doit justifier du " remplacement" du salarié mis à la retraite, ce qui signifie que le salarié embauché doit succéder au retraité dans sa fonction qu’il doit exercer à sa place ; qu’un salarié embauché dans la région bisontine ne substitue pas un salarié mis à la retraite dans la région niçoise en raison de l’éloignement géographique existant entre les deux postes, toute solution contraire aboutirait à priver de sens l’accord du 28 juillet 1998 dont les termes clairs et précis ne peuvent être interprétés ;

 

Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si, nonobstant la circonstance que le salarié embauché l’avait été à Dijon pour un poste à Besançon, il n’existait pas cependant un lien entre cette embauche et la mise à la retraite de M. X..., dont il appartenait à l’employeur de rapporter la preuve, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

 

Sur le moyen unique du pourvoi incident du salarié, pris en sa troisième branche :

 

Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de paiement d’une somme au titre de la participation due sur l’exercice 2003 sans que la cour d’appel n’énonce de motif à l’appui de sa décision, alors, selon le moyen, que toute décision judiciaire doit être motivée à peine de nullité ;

 

Mais attendu que, par motifs adoptés, la cour d’appel a retenu que la participation avait été versée par l’employeur ; que le moyen n’est pas fondé ;

 

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident du salarié, pris en ses deux premières branches :

 

Vu l’article 455 du nouveau code de procédure civile ;

 

Attendu que pour rejeter la demande du salarié de paiement d’un rappel de salaire au titre de la partie variable de sa rémunération, dite prime AC-APV, pendant la durée du préavis qu’il avait été dispensé d’exécuter, l’arrêt retient qu’en l’absence de stipulation expresse, le droit au paiement prorata temporis d’une gratification à un salarié quittant l’entreprise avant la date de son versement, ne peut résulter que d’un usage, dont il appartient au salarié d’apporter la preuve, que le salarié ne produit aucun élément en ce sens ; qu’il convient alors de distinguer la nature de la gratification de ses modalités de paiement, que la prime AC-APV pour l’exercice 2003 a un caractère annuel, ce qui n’autorise pas le salarié partant en cours d’année 2003 à en demander le versement prorata temporis ;

 

Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, et sans répondre aux conclusions du salarié qui faisait valoir que l’employeur s’était expressément engagé dans la lettre de mise à la retraite à maintenir l’ensemble des éléments de rémunération, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

 

PAR CES MOTIFS :

 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a, d’une part, jugé que la mise à la retraite de M. Y... devait s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné en conséquence la société Siemens SAS à lui payer une somme de 31 511,64 euros en application de l’article L. 122-14-4 du code du travail, et, d’autre part rejeté la demande du salarié de rappel de salaire au titre de la partie variable de sa rémunération, dite prime AC-APV, l’arrêt rendu le 12 décembre 2005, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Nîmes ;

 

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;

 

Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ;

 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit octobre deux mille sept.

 


 

Décision attaquée : cour d’appel d’Aix-en-Provence (17e chambre) 2005-12-12

 

Observation

 

Depuis la réforme intervenue en 2003, l’employeur ne peut mettre un salarié à la retraite que lorsqu’il atteint 65 ans. Le loi de 2003 prévoyait toutefois des dérogations permettant de mettre un salarié à la retraite avant 65 ans, notamment lorsqu’une convention ou un accord collectif étendu avant le 1er janvier 2008 fixait des contreparties en termes d’embauche (dérogation supprimée par la loi du 21 décembre 2006 de LFSS2007). Plus d’une centaine de branches ont signé de tels accords, dont la métallurgie pour les ingénieurs et cadres (accord du 29 janvier 2000, art 31-2).

 

En l’espèce, un salarié a saisi la juridiction prud’homale pour faire juger que sa mise à la retraite constituait un licenciement sans cause réelle et sérieuse car l’employeur n’avait pas rempli son obligation d’accompagner la mise à la retraite d’une contrepartie en terme d’embauche (conclusion d’un contrat d’apprentissage, d’un contrat de qualification, embauche compensatrice déjà réalisée dans le cadre d’une mesure de préretraite progressive ou de toute autre mesure ayant le même objet, d’un contrat à durée indéterminée, conclusion avec l’intéressé d’un avenant de cessation partielle d’activité).

 

La Cour d’Appel a décidé qu’effectivement l’employeur devait jusitifier du "remplacement" du salarié mis à la retraite, et surtout que ce "remplacement" signifie que le salarié embauché doit succéder au retraité dans sa fonction qu’il doit exercer à sa place.

 

En l’espèce, la Cour d’Appel considère qu’un salarié embauché pour un poste à Besançon ne se substitue pas à un salarié mis à la retraite dans la région niçoise en raison de l’éloignement géographique existant entre les deux postes.

 

Au contraire, la Cour de Cassation indique que l’éloignement géographique entre les deux postes n’est pas rédhibitoire : un lien entre les deux peut exister entre la mise à la retraite et l’embauche. Il appartenait à l’employeur d’en rapporter la preuve.

 

Pour ces motifs, elle juge que la mise à la retraite ne s’analyse pas en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.