La qualité de vie au travail est née d’une volonté partagée des partenaires sociaux, et elle s’est progressivement imposée comme un levier important pour allier bien-être des salariés et performance des entreprises. Aujourd’hui, cette notion ne se limite plus à des initiatives ponctuelles ou à une simple tendance managériale : elle est devenue un enjeu majeur du dialogue social. Elle englobe des aspects essentiels tels que le travail, l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, la reconnaissance et le sens du travail, l’autonomie, la santé mentale et physique des travailleurs.
Pourtant, une étude récente révèle que moins de la moitié des salariés (48%) estiment que leur employeur prend en compte la question de la qualité de vie au travail, alors même que cette question est considérée comme prioritaire par 88% des personnes interrogées.
Pour évoquer ce paradoxe, et plus largement pour parler des différentes dimensions et enjeux de la qualité de vie au travail, nous avons souhaité interroger Catherine Fuentès, maitre de conférence associée à l’institut du travail de Strasbourg et formatrice des membres élus du CSE.
;els progrès ont été réalisés ? Comment inciter à mieux prendre en compte la protection de la santé des salariés et notamment la santé mentale ? Pourquoi est-il nécessaire de centrer la réflexion sur le travail, ses conditions d’exercice, son organisation, sur le sens donné au travail ? ;e dire des démarches QVCT qui se résument à des actions de « bien-être » sans s’intéresser au travail ? Telles sont les grandes questions évoquées au cours de cet entretien.
Qualité de vie au travail (QVT), Qualité de vie au travail et conditions de travail (QVCT) …de quoi parle-t- on ?
Catherine Fuentès rappelle que la notion de QVT a émergé dans les années 70-80 : « Au départ, le concept visait la conciliation de la satisfaction des travailleurs et la productivité de l’entreprise », précise-t-elle. Puis, l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 1s juin 2013 « Vers une politique d'amélioration de la qualité de vie au travail et de l'égalité professionnelle » est venu la définir. La QVT se définit comme : « un sentiment du bien-être au travail perçu collectivement et individuellement et qui consiste à faire un travail de qualité dans des bonnes conditions ». La notion de ;alité de Vie au Travail (QVT) a ensuite été introduite dans le Code du travail français en 2015, avec la loi Rebsamen du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l’emploi. Cette loi a inscrit la QVT comme un thème obligatoire de la négociation annuelle obligatoire (NAO) dans les entreprises de 50 salariés et plus, au même titre que l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
L’ANI du 9 décembre 2020 marque une étape importante, avec le remplacement de la notion de QVT par celle de QVTC, et c’est la loi du 2 août 2021, dite Loi Santé, qui l’introduit dans le code du travail.
Cette loi, entrée en vigueur le 31 mars 2022, suggère certes aux partenaires sociaux d’aborder un nouveau sujet dans les négociations obligatoires : la santé et la sécurité au travail ainsi que la prévention des risques professionnels. Mais c’est une simple faculté même en cas d’application des dispositions supplétives. « La négociation peut également porter sur la qualité des conditions de travail, notamment sur la santé et la sécurité au travail et la prévention des risques professionnels ».
On peut regretter que ce soit une simple faculté, au même titre qu’il est dommage que les questions autour du sens, de la qualité au travail et du pouvoir d’agir des salariés évoqués dans l’ANI de 2020 n’ont pas été transposées dans cette loi du 2 août 2021.
Pour aller plus loin, Catherine Fuentès invite le lecteur à consulter en ligne sur le site de l’ANACT le nouveau référentiel QVCT qui complète la rosace existante2. On y découvre les s thèmes de la QVCT identifiés :
- Organisation, contenu et réalisation du travail
- Compétences et parcours professionnels
- Égalité au travail
- Projet d’entreprise et management
- Dialogue social et professionnel
- Santé au travail et prévention
Ces thèmes sont bien sûr tous en lien direct avec la prévention des risques psycho-sociaux.
A l’origine, les partenaires sociaux parlent de « bien-être au travail ». ;’est-ce que cette notion de bien-être au travail ?
Pour Catherine Fuentès, il faut bien faire attention à cette notion qui se rapproche plus de la santé au travail que du bien-être au sens commun. Elle renvoie au préambule de la constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui associe spécifiquement la notion du bien-être à celle de santé3. Plus précisément, le texte dispose que « la santé correspond à un état complet de bien-être physique, mental et social et non pas seulement à l'absence de maladie ou d'infirmité ». La notion du bien-être apparaît aussi dans la définition que l’OMS donne de la santé mentale. Celle-ci correspond « à état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté ». En combinant ces deux définitions, Catherine Fuentès propose sa vision du bien-être tel que visé par la qualité de vie au travail, « qui ne consiste pas seulement à une absence de la maladie mais renvoie à une notion d’hygiène mentale fondée sur les relations harmonieuses entre les personnes ». Elle précise « que ces dernières ne peuvent exister que si on centre l’analyse sur le travail et les conditions de travail ».
Pourquoi parle-t-on depuis 2020 de QVCT (Qualité de Vie et Conditions de Travail)?
Pour Catherine Fuentès, ce changement marque « le basculement d’une démarche individuelle vers une démarche collective qui incite à s’interroger sur le travail et sur les conditions de travail ».
Les analyses réalisées par l’ANACT au fil des ans ont révélé que, dans les accords QVT, le thème de la santé au travail était assez peu présent, notamment dans son aspect de charge de travail. « Certes, on va avoir des mesures phares, comme par exemple l’interdiction des réunions après 17h, mais on trouve très peu de choses en amont sur les conditions de travail, sur la charge et l’organisation du travail, qui pourtant sont primordiales si on veut privilégier la qualité de vie et les conditions de travail ».
C’est pour contrer cela que les partenaires sociaux, puis le législateur, ont complété cette notion de QVT.
Pour Catherine Fuentès, ce changement est positif : « Parler uniquement de qualité de vie au travail pourrait se résumer à l’adoption de mesures qui ne sont pas forcément en lien avec le travail, mais qui relèvent du pur bien-être, tels que des ateliers bien-être, massage, sport, décoration des bureaux, etc. Certes, ces mesures sont bonnes, mais ce ne sont pas celles qui sont attendues dans le cadre d’un accord QVCT qui veut vraiment promouvoir la santé au travail, comme le suggérait l’ANI de s décembre 2020 ».
La démarche QVCT « ne peut plus se résumer à des mesures « vitrine », qui se résument à des actions de bien-être sans s’intéresser au travail ». « S’en tenir exclusivement à ce type de mesure serait dangereux pour la protection de la santé des salariés et inefficace en termes d’amélioration des conditions de travail ». En effet, elle rappelle qu’il est important et indispensable d’agir sur les causes plutôt que sur les conséquences. « Par exemple, acheter un coussin massant permet d’adoucir les conséquences, à savoir les douleurs cervicales, plutôt que d’agir sur l’organisation du travail, l’aménagement du poste… »
Pourquoi le législateur a-t-il décidé d’associer les notions de QVTC et d’égalité? ;el est le lien entre ces deux notions ?
« Ce n’est évidemment pas anodin d’associer ces deux négociations », admet Catherine Fuentès. Cette association vise à intégrer les enjeux d'égalité dans la gestion quotidienne des conditions de travail. Néanmoins, elle aimerait aller plus loin. Pour elle, la QVCT devrait être un élément transversal de toutes négociations. « Ce n’est pas qu’en matière d’égalité professionnelle qu’on devait parler de QVCT » souligne- t-elle. Cela d’autant plus que « la loi du 2 août 2021 est venue intégrer la QVCT dans les dispositions supplétives du Code du travail ».
L’introduction récente de la prise en compte dans l’évaluation des risques de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe (loi 2 août 2021 en vigueur depuis le 31 mars 2022, article L.4121- 3 du Code du travail) démontre bien la nécessité de raisonner en termes de santé au travail et de prévention des risques.
Quel est le rôle du CSE en matière de QVTC ? ;els sont leurs leviers d’action ?
Pour répondre, Catherine Fuentès pose tout d’abord le principe : «quandonveutraisonnerQVCT,ilfaut raisonnersantéautravailetpréventiondesrisquesprofessionnels».Selon elle, «c’estlaseulefaçonde prendre en compte les problématiques liées aux conditions de travail, à la charge mentale et physique de travail, à la promotion d’un travail de qualité avec des moyens en adéquation ».
En ce sens, elle constate un avancement effectué par la loi du 2 août 2021 qui s’oriente sur la prévention et l’évaluation des risques professionnels, en accentuant notamment les obligations des entreprises en matière de consultation du CSE sur le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP). Concrètement, le CSE doit donner son avis sur l’évaluation des risques professionnels faite par l’employeur, et les moyens mis à disposition des salariés par l’employeur pour les prévenir.
A contrario, elle se montre très dubitative sur l’efficacité de cette consultation lorsqu’elle est faite « à la marge ». « Si l’on s’en tient exclusivement au DUERP et à une seule consultation sur l’ensemble du document, cette consultation ne renforce en rien la prévention des risques professionnels », souligne-elle. Pour elle, il est nécessaire d’associer à cette consultation en plusieurs étapes, celle sur le rapport de bilan sur l’hygiène, la sécurité et conditions de travail pour l’année N-1, et aussi sur le programme annuel de prévention et d’amélioration des conditions de travail (PAPRIPACT) : « Si on raisonne avec ses trois documents, les CSE, les directions, les partenaires comme la CARSAT et les services de prévention et de santé au travail seront amenés à travailler ensemble sur ces thématiques et de faire un suivi ».
Enfin, il sera important de former les élus et de sensibiliser les salariés sur les démarches d’amélioration permettant de traiter très concrètement par exemple de la charge de travail. « L’outil méthodologique de l’ANACT « les essentiels de la QVT » est un levier à privilégier à mon sens4. La rubrique -Contenu du travail- me semble très adaptée ».
Quelles sont les bonnes pratiques en matière de QVCT ? Inversement, est-ce qu’il y a des mauvaises pratiques ?
Il n’y a pas des bonnes pratiques clé en main ! Par contre, Catherine Fuentès, forte de son expérience de terrain, souligne l’importance du diagnostic. Ce dernier se résume « à un engagement volontaire et une implication durable des directions des entreprises dans la mise en place des espaces de discussion, avec une organisation en amont des entretiens individuels ou collectifs des salariés sur le travail et sur la façon dont celui-ci se fait, pour identifier les facteurs qui le soutiennent, ou inversement, ceux qui l’entravent ». De son côté, le salarié sera alors plus à même à suivre une telle démarche volontaire et durable, « avec bien-sûrun suivi par le CSE et une réflexion par unité de travail, par service, sur la façon, les contraintes et les facteurs améliorant les conditions de travail ».
C’est ce diagnostic qui influe, par la suite, sur les bonnes pratiques à adopter pour chaque thème porté par la QVCT. Elle insiste, notamment, sur l’importance des thèmes de santé au travail, et d’organisation, contenu et réalisation du travail. De par sa pratique, elle constate que, dans le domaine de l’organisation du travail, par exemple, « ce sont les entreprises qui adoptent une démarche qualitative, portant sur le contenu du travail, les objectifs assignés et les moyens donnés aux salariés pour les atteindre, qui réussissent la QVCT ».
La nécessité d’un vrai dialogue en la matière est aussi mise en exergue tant par le juge 5que par le législateur : « Aujourd’hui, ilressort qu’onne peut pasfaire dela QVCT si onneraisonne pasentermes de dialogue, tant professionnel que social », insiste-t-elle. L’enjeu sera ensuite de garantir la pluridisciplinarité dans le cadre de ce dialogue : « Il faut faire intervenir des acteurs traditionnels que sont la direction, les élus, les salariés, mais aussi d’autres acteurs institutionnels, comme par exemple les services de prévention et de santé au travail, la CARSAT, et également d’autres disciplines telles que l’ergonomie, la psychodynamique du travail ». C’est la seule façon de garantir la construction d’un « vrai diagnostic, qui amènera à des mesures qui sont essentielles pour la QVCT ».
S’agissant des mauvaises pratiques en matière de QVCT, Catherine Fuentès met l’accent sur la prévention des risques psychosociaux (RPS) et la façon dont les entreprises les abordent dans le cadre de la QVCT :
« Quand les entreprises constatent que les mesures prises dans le cadre de la prévention des RPSne sont pas suffisantes, elles vont trop souvent s’intéresser uniquement au comportement du salarié et à la démarche individuelle, et non pas au collectif et l’environnement de travail dans sa globalité ». Or, cette pratique est contraire tant aux principes généraux de prévention du code du travail (4° de L.4122-2 du Code du travail), qu’à la définition même des RPS. En effet, les risques psychosociaux ce sont les éléments des conditions et de l’organisation du travail susceptibles d’interférer avec le fonctionnement psychique et de porter atteinte à la santé physique et psychique des salariés (définition rapport Gollac) et non comme le disait Xavier Bertrand « lorsque le salarié n’arrive pas à s’adapter sur l’organisation du travail ».
Quels sont les enjeux actuels entourant la QVCT ?
Pour Catherine Fuentès, l’enjeu essentiel actuel consiste à une réflexion et une analyse profonde sur la façon dont l’organisation et des conditions du travail peuvent être améliorées, pour qu’elles soient un facteur de l’attractivité de l’entreprise : «Aujourd’hui, les entreprises souhaitentêtreattractives, mais adoptent des mesures périphériques, de toilettage qui n’ont rien à voir avec une amélioration des conditions du travail », déplore-t-elle.
Pour conclure, elle insiste à nouveau sur l’importance « de sortir de l’impasse d’une démarche individuelle et interpersonnelle pour aborder collectivement ces questions ». « Il faut privilégier la recherche de solutions organisationnelles, seules garantes d’une démarche de prévention efficace et durable ».