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Lettre d'information n°147 Aout 2023

Edito

Voilà, c’est la rentrée !

Une fois n’est pas coutume, l’été a été studieux…
Dans cette lettre, l’équipe dresse un panorama des principaux arrêts publiés par la Cour de Cassation pendant l’été. Restez connnecté…car nous publierons dans une prochaine lettre le second volet de ce travail consacré à l’important arsenal législatif et réglementaire estival.

Qui dit rentrée, dit aussi évènements.
Nous vous rappelons l’organisation d’un colloque le vendredi 29 septembre à Strasbourg, en format hybride, sur le thème de la négociation collective en matière de restructurations.
Retrouvez page 2 l’entretien avec Benjamin Dabosville, responsable du projet, qui est à l’origine de cet évènement.


Nous vous souhaitons à tous une bonne rentrée !

Bonne lecture


Article
L’essor de la négociation collective en matière de restructurations Comparaison franco-allemande

Concluant un cycle de recherche de deux ans, le Groupe d’Étude Franco-Allemand sur le Contentieux du Travail organise le 29 septembre à l’auditorium de la MISHA un colloque sur le thème de la négociation collective en matière de restructurations. Maître de conférences à l’université de Strasbourg et responsable du projet, Benjamin Dabosville nous présente l’ambition de ce colloque.

 

Comment a été constitué le Groupe d’Étude Franco-Allemand sur le Contentieux du Travail ? Depuis quand existe-t-il et quelle est sa méthode de travail ?

Le Groupe d’Etude Franco-Allemand sur le Contentieux du Travail (ou « GEFACT » en abrégé) a été fondé 1999 par M. Meinhard Zumfelde, qui était juge du travail en Allemagne, mais aussi Professeur associé à l’Université de Cergy. Sa composition varie en fonction des thèmes de recherche, mais vise à répondre à une série d’équilibres : équilibre entre membres français et allemands bien sûr ; mais aussi équilibre entre professionnels du droit (avocats et juges pour l’essentiel) et universitaires. Nous intégrons enfin en permanence de jeunes chercheurs à nos travaux et accueillons ainsi régulièrement des doctorants français et allemand. Des étudiants de master, en particulier ceux du master droit social interne, européen et international de l’université de Strasbourg participent également à certaines de nos réunions.

Cette composition découle de la méthode de travail originale que nous adoptons. Afin d’articuler au mieux les enjeux théoriques et les préoccupations pratiques, l’analyse de chaque sujet se fait non pas à partir des textes de loi, mais en partant de cas concrets. Comme le révèle la dénomination du groupe, notre méthode consiste à s’intéresser au contentieux du travail. Sur chaque sujet, des binômes franco-allemand sont donc désignés. Lors de nos réunions, leur rôle est de présenter à l’ensemble du groupe quelques décisions significatives en droit français et en droit allemand portant sur des questions similaires. L’objectif est de mettre en évidence le raisonnement que tiennent les juges français et allemands et de faire ressortir les divergences ou convergences entre les deux droits. Les enjeux pratiques et les éventuelles évolutions du cadre juridique sont exposés à partir de ce socle. À la suite des interventions faites par les binômes, une discussion s’ouvre entre les participants à la réunion. Le but est alors de clarifier la terminologie utilisée, de débattre des solutions retenues de part et d’autre du Rhin, d’enrichir la compréhension des décisions. Enfin, chaque réunion de travail donne lieu à l’écriture d’un compte-rendu.

 

Dans quelle cadre cette recherche a-t-elle été menée ? Quels sont vos partenaires ?

Ce projet de recherche, qui a débuté au printemps 2022 et se termine à la fin de cette année, est porté par l’Institut du travail de l’Université de Strasbourg, en lien avec l’UMR 7354 DRES. Il s’inscrit dans le programme de recherche de l’Institut thématiques interdisciplinaires MAKErS de l’université de Strasbourg, du CNRS et de l’Inserm intitulé la « Fabrique de la société européenne » et dont l’ambition est de renouveler les études européennes sur la question de la construction sociale de l’Europe. Il bénéficie également du soutien de la Direction générale du travail ainsi que du Centre interdisciplinaire d’Études et de Recherches sur l’Allemagne. S’agissant de ce dernier, il s’agit d’un réseau rassemblant douze établissements français d’enseignement supérieur et de recherche parmi les plus prestigieux en France, dont l’Université de Strasbourg.

 

Le colloque du 29 septembre s’intitule « L’essor de la négociation collective en matière de restructurations ». Pourquoi ce sujet ? Quelles ont été les différentes étapes du projet ?

Le choix du sujet part d’un double constat. D’une part, le thème des restructurations a été à l’avant-garde des transformations récentes du droit français en matière de négociation collective. Il a certes beaucoup été question de cette place accrue accordée à la négociation collective à l’occasion de la loi dite « travail » du 8 août 2016 et des ordonnances du 22 septembre 2017. Mais si ces textes ambitionnaient d’opérer une « refondation de notre modèle social », celle-ci était déjà en germe avec la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi qui a, en quelque sorte, servi de ballon d’essai au législateur. D’où l’intérêt d’utiliser le miroir grossissant du contentieux pour examiner les questions et difficultés causées par cette mise en avant de la négociation collective comme source de droit. D’autre part le droit allemand a parfois été mobilisé pour justifier les évolutions du droit français sur ce thème. Tel est notamment le cas en matière d’accords dits de « compétitivité-emploi », aujourd’hui appelés accords de « performance collective ». Dans sa lettre du 30 janvier 2012, par laquelle il demandait que s’ouvre une négociation nationale interprofessionnelle visant à fixer un cadre juridique approprié à ces accords, le Premier Ministre de l’époque mettait ainsi en avant nos voisins, affirmant que, « comme le montre l’Allemagne, des mécanismes temporaires et négociés d’ajustement en matière de durée du travail et de rémunération permettent aux entreprises de surmonter la phase aiguë du choc économique en préservant l’emploi puis d’aborder la reprise en ayant conservé les compétences en leur sein. De même, ces accords peuvent servir de cadre à des politiques volontaristes de développement de l’emploi pour des entreprises connaissant une croissance de leurs activités ». Il nous a par conséquent semblé intéressant de voir jusqu’à quel point il est aujourd’hui possible de trouver des similitudes entre les droits français et allemand en ce domaine.

Notre étude a été progressive et articulée autour de trois thèmes. Nous avons débuté par l’analyse des « points clefs du licenciement pour motif économique » en cherchant notamment à cerner précisément l’objet et l’intensité du contrôle du juge en ce domaine. Puis nous nous sommes intéressés au rôle des « représentants du personnel face aux restructurations » avant d’examiner les « restructurations sans rupture du contrat de travail ».

 

Quels sont les principaux apports de votre recherche ? Quel est l’objectif du colloque ?

A vrai dire, le colloque est davantage conçu comme une nouvelle étape dans l’avancement de nos travaux que comme une présentation des résultats d’une recherche déjà close. C’est la raison pour laquelle nous attendons un public nombreux et avons laissé d’importants temps de discussion avec la salle ! Bien sûr, le groupe d’étude va présenter certains points saillants de nos séminaires de recherche. À titre d’illustration, nous nous sommes aperçus que si le juge français contrôle étroitement les raisons économiques à l’origine de la décision, c’est sur les conséquences organisationnelles que se porte essentiellement le contrôle du juge allemand. Il est donc difficile, voire vain, de chercher à savoir si l’un est plus intense que l’autre car le contrôle porte sur des points différents. De même, le développement des accords de compétitivité a certes eu pour effet de mettre à l’épreuve les mécanismes cardinaux d’articulation des sources du droit du travail. Mais, si cette question est commune aux deux pays, elle se décline toutefois de manière différente de part et d’autre du Rhin. Côté français, c’est la question de l’articulation entre la norme collective négociée et le contrat de travail qui a été au cœur des difficultés. Côté allemand, c’est plutôt l’articulation entre les normes de l’entreprise et l’accord de branche qui a posé problème.

L’objectif du colloque sera de discuter de ces questions dans une logique pluridisciplinaire. Les séminaires de recherche organisés jusqu’à présent ont permis de lever des équivoques. Le 29 septembre, nous souhaitons réunir et faire dialoguer juristes, économistes et sociologues. Cette pluralité de regards permettra de donner tout leur sens aux similitudes et différences constatées entre chaque pays. Sans compter, bien sûr, sur les commentaires et remarques des participants.

 

Quelle suite sera donnée à cette recherche ?

Des articles de recherche portant sur certains aspects de nos travaux ont déjà été publiés. Quant à la recherche dans son ensemble, les comptes rendus de nos réunions sont disponibles sur notre blog (https://gefact.hypotheses.org/) en attendant l’éventuelle publication d’un ouvrage. Par ailleurs, nous envisageons de poursuivre en 2024-2025 l’examen des questions que soulève le thème de la négociation collective, mais en nous intéressant cette fois-ci à des questions de portée plus générale, telles que la notion d’accord collectif, l’exécution de l’accord ou encore sa remise en cause judiciaire.

 

Informations pratiques

L'essor de la négociation collective en matière de restructurations - comparaison franco-allemande

Colloque gratuit et sur inscription | En présentiel et en distanciel

Vendredi 29 septembre 2023 | de 9h à 17h

Salle de conférence, MISHA, 5 Allée du Général Rouvillois – Strasbourg (arrêt tram Observatoire)

Contact : tiphaine.garat[at]unistra.fr

Lien d’inscription : https://applications.unistra.fr/invitation/inscription.php?inscription=oui&time=12062023073453

 

Lien vers le blog Hypothèses du GEFACT

 

Invitation


Article
Une forte activité de la Cour de cassation durant l'été 2023

La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu une série d’arrêts en matière de relations collectives et individuelles du travail. Tour d’horizon des principaux arrêts :

 

Licenciement

  • Harcèlement moral : Licenciement pour faute grave d’un salarié qui n’est pas le supérieur hiérarchique direct de la victime

Le comportement harcelant à l’égard d’un employé justifie la faute grave, même s’il est commis par un salarié qui n’est pas le supérieur hiérarchique de ce dernier. C’est ainsi que juge la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 28 juin 2023.

Pour rappel : Selon l’article L1152-1 du Code du travail : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

En l’espèce, une salariée est engagée en qualité d'hôtesse de caisse, puis promue au poste de manager de caisses. Presque vingt ans après, elle a été mise à pied à titre conservatoire et finalement licenciée pour faute grave pour harcèlement moral.

La salariée en question a saisi les juges prud’homaux pour contester son licenciement et obtenir des dommages et intérêts. Elle soutient qu'elle n'exerçait aucune responsabilité hiérarchique sur l’employée qui se disait victime de ses agissements fautifs, celle dernière travaillant en parapharmacie. La Cour d’appel la déboute néanmoins de sa demande, en retenant l’existence d’une faute grave. Elle juge que la salariée a profité de sa position de manager pour harceler l’employée, sur fond de rivalité amoureuse, « en lui faisant état, à plusieurs reprises, de sa capacité de nuisance ». 

La Cour de cassation s’aligne à la position des juges du fond. Elle considère que ces faits sont « incompatibles avec les responsabilités confiées à la salariée ». Ils rendaient donc « impossible son maintien dans l’entreprise », et cela, peu importe l’absence du lien hiérarchique direct.

Cass., Soc., 28 juin 2023, Pourvoi n° 22-12.777

 

  • Statut protecteur contre le licenciement d’un délégué syndical : la démission d’un délégué syndical prend effet à la date de l’information de l’employeur

C’est à la date à laquelle l’employeur est informé de la démission d’un délégué syndical que la fin du mandat de ce dernier prend effet. C’est ainsi que se prononce la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 14 juin 2023.

Pour rappel : Selon l’article L2411-3 du Code du travail : « Le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. Cette autorisation est également requise pour le licenciement de l'ancien délégué syndical, durant les douze mois suivant la date de cessation de ses fonctions, s'il a exercé ces dernières pendant au moins un an. Elle est également requise lorsque la lettre du syndicat notifiant à l'employeur la désignation du délégué syndical a été reçue par l'employeur ou lorsque le salarié a fait la preuve que l'employeur a eu connaissance de l'imminence de sa désignation comme délégué syndical, avant que le salarié ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement ».

En l’espèce, une salariée a été engagée en qualité de conducteur receveur, statut ouvrier, et désignée déléguée syndicale le 3 décembre 2015. Le 21 janvier 2016, elle a informé le syndicat de sa démission et ce dernier avise l’employeur de cette démission le 1er février 2016. Le 28 janvier, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, puis licenciée pour faute grave le 4 mars 2016.

La salariée saisit les juges prud’homaux pour contester le bien-fondé de son licenciement intervenu en violation du statut protecteur, en lien avec le mandat syndical. La Cour d’appel donne droit à sa demande, en retenant que la salariée bénéficiait du statut protecteur jusqu'au 1er février 2016, date à laquelle l'information a été portée à la connaissance de l'employeur. L’employeur se pourvoit ainsi en cassation.  

La Cour de cassation s’aligne à la position des juges du fond. La Cour rappelle tout d’abord qu’un délégué syndical « peut renoncer à son mandat en informant l'organisation syndicale qui l'a désigné de sa renonciation ». Elle confirme ensuite que « la démission du salarié de son mandat de délégué syndical prend effet, à l'égard de l'employeur, à la date à laquelle cette démission est portée à sa connaissance », pour en déduire, à présent, que « la salariée bénéficiait du statut protecteur jusqu'au 1er février 2016 ».

Cass.,Soc.,14 juin 2023, Pourvoi n°21-18.599

 

  • Dénonciation des faits de nature à caractériser un crime ou un délit : la Cour de cassation précise les conditions de protection contre le licenciement

La nullité du licenciement d’un salarié ayant dénoncé des faits, ne peut être prononcée que si ces faits sont susceptibles de caractériser un crime ou un délit. C’est ce qu’a retenu la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 1er juin 2023.

Pour rappel :
Selon l’article L1132-3-3 du Code du travail : « Aucune personne ayant témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont elle a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ou ayant relaté de tels faits ne peut faire l'objet des mesures mentionnées à l'article L. 1121-2.

Les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article bénéficient des protections prévues aux I et III de l'article 10-1 et aux articles 12 à 13-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».

Ainsi, l’article L1121-2 du Code du travail précise que : « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ni faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat, ni de toute autre mesure mentionnée au II de l'article 10-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, pour avoir signalé ou divulgué des informations dans les conditions prévues aux articles 6 et 8 de la même loi ».

En l’espèce, un salarié a été embauché en qualité de directeur d’exploitation. Par un courriel envoyé au président de son entreprise, il dénonce la légalité ou la régularité de la procédure de mise en place d'une carte de fidélité. Précisément, il estime que cette opération allait supprimer du chiffre d'affaires. Un an après l’envoi de ce courriel, le salarié en question a été licencié pour faute grave et insuffisance professionnelle. Dans la lettre de licenciement, il lui est reproché que la dénonciation qu’il a faite, était un stratagème sous forme de menace et de chantage pour obtenir une rupture conventionnelle.

Le salarié saisit les juges prud’homaux pour contester son licenciement et demander des diverses sommes à titre de dommages et intérêts. La Cour d’appel fait droit à sa demande en relevant que le licenciement du salarié était consécutif, au moins pour partie, à une dénonciation d'un fait pouvant recevoir une qualification pénale. Elle en déduit alors que ce licenciement était nul. L’employeur se pourvoit ainsi en cassation.

La Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel. Elle rappelle tout d’abord « qu’aucun salarié ne peut être licencié pour avoir relaté, de bonne foi, des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ou pour avoir signalé une alerte ». Selon la Cour, les juges d’appel ne se sont pas prononcés sur le caractère des faits dénoncés par le salarié, ceux-ci étant susceptibles de constituer un délit ou un crime. Elle renvoie ainsi l’affaire devant la Cour d’appel.  

Cass., Soc., 1er juin 2023, Pourvoi n° 22-11.310

 

  • Elections professionnelles : un salarié ne peut pas être licencié pour avoir préalablement demandé leur organisation

Dans un arrêt rendu le 28 juin 2023, la Cour de cassation apporte des précisions concernant la preuve en matière de discrimination syndicale. Selon elle, il appartient à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre le licenciement d’un salarié, jugé sans cause réelle et sérieuse, et la demande préalable de ce dernier d’organiser des élections professionnelles au sein de l’entreprise.

En l’espèce, un salarié, embauché en qualité de serveur, a demandé l'organisation d'élections professionnelles en octobre 2015. Presque un mois après, il a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement avec mise à pied conservatoire, et a été finalement licencié pour faute grave quelques jours plus tard.

Le salarié a saisi les juges prud’homaux aux fins d'annulation du licenciement pour discrimination syndicale, de réintégration et de paiement de rappels de salaire et de diverses indemnités. Précisément, il faisait valoir que l'employeur avait engagé une procédure de licenciement à son encontre le jour même de la réception du courrier par lequel il sollicitait l'organisation d'élections professionnelles.

La Cour d’appel l’a débouté de sa demande, en retenant que celui-ci « ne présente dans ses conclusions aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale ». Conséquemment, le salarié se pourvoir en Cassation.

La Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel. Elle rappelle tout d’abord que, « lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient à l'employeur de démontrer que la rupture du contrat de travail ne constitue pas une mesure de rétorsion à la demande antérieure du salarié d'organiser des élections professionnelles au sein de l'entreprise ». Elle constate, qu’en l’espèce, « le licenciement prononcé n'était pas justifié par l'existence d'une cause réelle et sérieuse, de sorte qu'il appartenait à l'employeur de démontrer l'absence de lien entre la demande du salarié d'organiser les élections professionnelles et le licenciement prononcé ».

Cass., Soc., 28 juin 2023, Pourvoi n° 22-11.699

 

Acteurs et relations collectives

  • Seul un accord d’entreprise peut mettre en place des représentants de proximité

Pour la première fois, la Cour de cassation précise le niveau à retenir pour la mise en place des représentants de proximité. Dans un arrêt rendu le 1er juin 2023, elle relève, selon une interprétation littérale des articles L2313-2, L2313-7 et L2232-12 du Code du travail, que seul un accord conclu au niveau de l’entreprise déterminant le nombre et le périmètre des établissements distincts peut instituer des représentants de proximité.

Pour rappel :
Selon l’article L2313-2 du Code du travail : « Un accord d'entreprise, conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L2232-12, détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts ».
L’article L2313-7 du Code du travail précise que :
« L'accord d'entreprise défini à l'article L2313-2 peut mettre en place des représentants de proximité.
L'accord définit également :
1° Le nombre de représentants de proximité ;
2° Les attributions des représentants de proximité, notamment en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail ;
3° Les modalités de leur désignation ;
4° Leurs modalités de fonctionnement, notamment le nombre d'heures de délégation dont bénéficient les représentants de proximité pour l'exercice de leurs attributions.
Les représentants de proximité sont membres du comité social et économique ou désignés par lui pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité ».

Enfin, suivant l’article L2232-12 du même Code :
« La validité d'un accord d'entreprise ou d'établissement est subordonnée à sa signature par, d'une part, l'employeur ou son représentant et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants.
Si cette condition n'est pas remplie et si l'accord a été signé à la fois par l'employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des élections mentionnées au premier alinéa, quel que soit le nombre de votants, une ou plusieurs de ces organisations ayant recueilli plus de 30 % des suffrages disposent d'un délai d'un mois à compter de la signature de l'accord pour indiquer qu'elles souhaitent une consultation des salariés visant à valider l'accord. Au terme de ce délai, l'employeur peut demander l'organisation de cette consultation, en l'absence d'opposition de l'ensemble de ces organisations. […] ».

Dans le cas de l’espèce, des négociations avaient été engagées au plan national entre un groupe ferroviaire et les organisations nationales représentatives, en vue de la conclusion d'un accord collectif portant à la fois sur la détermination des établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques (CSE) et sur la mise en place de représentants de proximité. Faute d'accord, la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts a été réalisée par décision unilatérale de l’employeur. Saisis par voie d’un recours contre cette décision, la DIRECCTE, puis le tribunal d’instance, la valident. Parmi les 33 établissements distincts déterminés, figurait l’établissement « Gare et connexions », au sein duquel un accord d’établissement a été négocié qui fixait la mise en place de 25 représentants de proximité.

Une fédération syndicale non signataire de ce dernier accord a saisi le tribunal de grande instance en annulation des désignations des représentants de proximité, en invoquant que seul l'accord d'entreprise déterminant le nombre et le périmètre des établissements distincts pourrait mettre en place des représentants de proximité et définir leur nombre et leurs attributions. La Cour d’appel la déboute de sa demande, en retenant qu’aucune disposition légale ou conventionnelle ne s'oppose à l’institution de représentants de proximité par accord d’établissement.

La Cour de cassation ne suit pas l’argumentation des juges d’appel. Tout en rappelant les dispositions du Code du travail pertinentes en la matière (susvisées), elle juge que les représentants de proximité « ne peuvent être mis en place que par l'accord d'entreprise, conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 2232-12, qui détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts ».

La Cour prend aussi soin de clarifier l’hypothèse de l’échec des négociations et de détermination ainsi du nombre et périmètre des établissements distincts par décision unilatérale de l'employeur, validée dans le cadre d’un recours devant l’administration. Pour la Cour, là encore, « un accord d'entreprise conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 2232-12 de ce code (du travail) peut prévoir pour l'ensemble de l'entreprise la mise en place de représentants de proximité rattachés aux différents comités sociaux et économiques d'établissement ».

Cass. soc., 1er juin 2023, pourvoi nº 22-13.303

 

  • Audition des salariés par l’expert du CSE : l'accord de l’employeur et des intéressés doit être préalablement recueilli

La Cour de cassation apporte des limites aux prérogatives de l’expert-comptable désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale d’une l’entreprise. Dans un arrêt rendu le 28 juin 2023, la Haute juridiction juge qu’aucune audition ou interrogation des salariés n’est possible sans accord préalable de l’employeur et des salariés concernés.

Pour rappel :
Selon l’article L2315-81-1 du Code du travail : « A compter de la désignation de l'expert par le comité social et économique, les membres du comité établissent au besoin et notifient à l'employeur un cahier des charges. L'expert notifie à l'employeur le coût prévisionnel, l'étendue et la durée d'expertise, dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat ».
Les articles L2315-82 et L2315-83 définissent les pouvoirs d’investigation de l’expert-comptable. Ainsi, selon l’article L2315-82 du Code du travail : « Les experts ont libre accès dans l’entreprise pour les besoins de leur mission ». L’article L2315-83 du même code dispose que : « L'employeur fournit à l'expert les informations nécessaires à l'exercice de sa mission ».

En l’espèce, le comité social et économique (CSE) désigne un expert (une société d’expertise) pour l’assister lors des consultations annuelles sur la situation économique et financière de l’entreprise ainsi que sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi. Quelques jours après sa désignation, l'expert a notifié à l’entreprise sa lettre de mission. Concrètement, il envisageait de mener des entretiens avec vingt-cinq salariés, d’une durée d’une heure et demie chacun, ce qui représenterait un total de cinq entretiens sur cinq à six jours.

L’entreprise saisit le tribunal judiciaire aux fins de réduire le taux journalier et le coût prévisionnel de l'expertise ainsi que la durée de celle-ci. De sa part, l’expert demande qu’il soit fait injonction à l’employeur de lui permettre de conduire lesdits entretiens. Le tribunal judiciaire rejette la demande de l’expert. Il constate que l’employeur s'était opposé à ces entretiens, de sorte que le nombre de jours prévus pour l'expertise devait être réduit.

La Cour de cassation s’aligne à la position du tribunal. Elle rappelle tout d’abord les missions de l’expert, telles que prévues par les textes. Or, pour la Cour de cassation, ces textes n’autorisent pas l’expert à auditionner les intéressés sans leur accord, tout comme sans celui de l’employeur. Par conséquent, en l’absence de cet accord, ou, en l’occurrence, en cas d’opposition de l’employeur, cette audition n’est pas possible : « Il résulte de ces dispositions que l'expert-comptable, désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi, s'il considère que l'audition de certains salariés de l'entreprise est utile à l'accomplissement de sa mission, ne peut y procéder qu'à la condition d'obtenir l'accord exprès de l'employeur et des salariés concernés ».

Cass., Soc., 28 juin 2023, Pourvoi n° 22-10.293

 

 

Conditions et organisation du travail

  • Entretien professionnel et entretien d’évaluation : leur organisation à la même date est possible

Dans un arrêt rendu le 5 juillet 2023, la Cour de cassation reconnaît la possibilité d’organiser l’entretien professionnel et l’entretien annuel évaluation à la même date. Elle apporte ainsi une souplesse dans les règles régissant l’organisation de ces entretiens.

Pour rappel :
Selon l’article L.6315 du Code du travail : « A l’occasion de son embauche, le salarié est informé qu'il bénéficie tous les deux ans d'un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d'évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi. Cet entretien ne porte pas sur l'évaluation du travail du salarié. Cet entretien comporte également des informations relatives à la validation des acquis de l'expérience, à l'activation par le salarié de son compte personnel de formation, aux abondements de ce compte que l'employeur est susceptible de financer et au conseil en évolution professionnelle […] ».

Puis, les articles L.1222-1 à L.1222-5 du Code du travail encadrent l’évaluation du salarié, notamment :

Selon l’article L.1222-2 : « Les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier ses aptitudes professionnelles.  Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l'évaluation de ses aptitudes.  Le salarié est tenu de répondre de bonne foi à ces demandes d'informations. »

Suivant l’article L.1222-3 : « Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard. Les résultats obtenus sont confidentiels. Les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».

En l’espèce, les salariés d’une entreprise saisissent les premiers juges pour contester la tenue, au même jour, de leur entretien professionnel et de leur entretien annuel d'évaluation. La Cour d’appel les déboute de leur demande en retenant que les dispositions légales n'imposent pas la tenue de ces entretiens à des dates différentes. Les salariés se pourvoient ainsi en cassation.

La Cour de cassation approuve le raisonnement des premiers juges. Tout en rappelant les dispositions de l’article L.6315 du Code du travail, la Cour considère que celui-ci « ne s'oppose pas à la tenue à la même date de l'entretien d'évaluation et de l'entretien professionnel pourvu que, lors de la tenue de ce dernier, les questions d'évaluation ne soient pas évoquées ».

Cass., Soc., 5 juill. 2023, pourvoi nº 21-24.122.

 

  • L’interdiction au recours du travail de nuit ne porte pas atteinte à la liberté d’entreprendre

Le 21 juin 2023, la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt dans lequel elle affirme que l’interdiction au recours au travail de nuit ne porte pas atteinte à la liberté d’entreprendre.

Dans les faits, un accord sur le travail de nuit a été signé entre la CFE-CGC, la CFDT et les sociétés de l’UES Monoprix le 11 décembre 2019. Le 7 février 2020, la CGT a saisi la juridiction civile afin de faire interdire l’application de cet accord et celle-ci prononce l’annulation de la convention ainsi que l’interdiction de recourir au travail de nuit sous peine d’astreinte.

Les sociétés de l’UES Monoprix décident de faire appel de ce jugement, débouchant sur une question prioritaire de constitutionnalité, visant à se demander si l’interprétation de la Cour de cassation de l’article L3122-1 en une interdiction absolue du recours au travail de nuit porte atteinte à la liberté d’entreprendre, prévue par la Constitution.

Pour rappel, l'article L3122-1 du Code du travail :
« Le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale ».

Voici la question prioritaire de constitutionnalité qui était posée aux juges :

« La jurisprudence constante depuis 2014 de la chambre criminelle et de la chambre sociale de la Cour de cassation, retenant une interprétation de l'article L. 3122-1 (ancien article L. 3122-32) du code du travail, qui interdit de facto le recours au travail de nuit aux entreprises du secteur de la distribution et du commerce alimentaire s'agissant de l'ouverture au public de nuit, est-elle conforme à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ».

La Chambre sociale déclare la QPC irrecevable au motif que l’article L3122-1 a été déclaré constitutionnel en 2014 par le Conseil Constitutionnel[1]et la jurisprudence de la Cour de cassation n’a jamais modifié les « limitations encadrant le recours au travail de nuit ». Ainsi, l’interprétation n’ayant pas changé depuis, il est inutile de remettre en cause son caractère constitutionnel, et ce même pour la liberté d’entreprendre.

Cass. soc., 21 juin 2023, pourvoi nº 23-40.007

 

[1] Décision n° 2014-373 QPC du 4 avril 2014 rendue par le Conseil constitutionnel


Bibliographie