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Lettre d'information n°143 janvier-février 2023

Edito

Dans cette lettre, nous vous proposons d'abord une réflexion prospective sur le travail avec le compte-rendu des propos de Marc Malenfer, responsable mission veille prospective INRS, sur les évolutions des organisations de travail dans les 5 prochaines années. Il s'agit d'une intervention du 12 octobre dernier, lors de la journée consacrée à la santé au travail dans le Grand-Est et qui présente les résultats d’une recherche publiée en décembre 2020 sur le site de l’INRS. Elle s'inscrit dans le contexte de la crise sanitaire de la Covid-19 qui a bouleversé l'organisation des entreprises, lesquelles pourraient devoir s'adapter durablement à ce contexte et ses conséquences économiques et sociales.

La deuxième partie de la lettre est consacrée à la forte actualité en matière de discriminations. Le Gouvernement vient de présenter un Plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine. Sur le plan judiciaire, la Cour de cassation a admis dernièrement la recevabilité des statistiques afin
de laisser supposer l'existence d'une discrimination.

D’autres nouveautés sur ce thème sont également disponibles sur le site dialogue-social.fr

Bonne lecture


Encart
PRST4 Grand Est : journée de présentation du 11 octobre 2022 à Strasbourg

Plus de 100 participants se sont retrouvés à l’Université de Strasbourg pour découvrir les actions du PRST 4, échanger et partager leurs pratiques autour des questions de la santé au travail.

Cette journée a été organisée par la DREETS Grand Est, avec le soutien du comité régional d’orientation des conditions de travail (CROCT) et la collaboration de l'Institut du travail de Strasbourg.

Les organisations membres du CROCT Grand-Est  sont :

  • Collège des partenaires sociaux : MEDEF, CPME, U2P, FRSEA, CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE-CGC
  • Collège des organismes de prévention : DREETS, CARSAT Alsace-Moselle, CARSAT Nord-Est, ARACT, MSA, OPPBTP, DREAL
  • Collège des personnes physiques et morales qualifiées : APST 68, ALSMT 54, SIST BTP Lorraine, HUS 67, Université de Strasbourg, AST 08, UDES, UNIAT, AGEFIPH, PRESANCE

Cette journée a été animée par Morane Keim-Bagot, professeur à l’Institut du travail, université de Strasbourg.

Voici le programme :

Ouverture : Josiane Chevalier, préfète de région

Risques en santé au travail : enjeux de recherche et de production de connaissances, Henri Bastos, directeur scientifique santé travail ANSES

Table-ronde : Les données de santé au travail de la région Grand Est, François Gobillard et Luc Dreuil, ingénieurs conseils CARSAT, Docteur Leonard, médecin inspecteur du travail DREETS, Docteur Herbrecht, médecin du travail cheffe MSA, Professeur Gonzalez, centre de pathologie professionnelle HUS

Prospective : Quelles évolutions du travail dans les cinq prochaines années ? Marc Malenfer, responsable mission veille et prospective INRS

Les acteurs de la santé au travail, Pierre-Yves Verkindt, professeur émérite à l’université de Paris I

Présentation des éléments globaux des PRST 3 et 4, Julien Eggenschwiller, responsable SST DREETS Grand Est

Table ronde sur les orientations des acteurs : Sylvain Metropolyt (CFDT), Aneta Kretz (UIMM), Emilie Oukoloff, directrice régionale adjointe Agefiph, Dominique Hen, directeur régional ARACT, Isabelle Hoeffel, adjointe responsable pôle T DREETS Grand Est

Conclusion, Thomas Kapp, directeur régional adjoint DREETS Grand Est

L’ensemble des supports présentés par les intervenants sont disponibles, ainsi que les vidéos de la journée, sont disponibles sur le site de la DREETS :

 https://grand-est.dreets.gouv.fr/PRST4-Grand-Est-journee-de-presentation-11-octobre-2022


Les brèves

> Discriminations dans le monde professionnel : l’exécutif renforce ses engagements

« Les discriminations et les stéréotypes, notamment dans le travail, continuent à briser des confiances et des destins », déplore la Première Ministre lors de la présentation, le 30 janvier 2023, du nouveau plan du gouvernement contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine.

Piloté par la Première ministre et la ministre déléguée chargée de l'Égalité, de la Diversité et de l’Égalité des chances, ce plan 2023-2026 succède à celui lancé par Édouard Philippe en 2018[1] afin de « compléter, prolonger et amplifier les actions d’ores et déjà initiées ».

Plus de 80 mesures « ambitieuses » devraient appliquées, articulées autour de 5 axes, à savoir : nommer la réalité du racisme, de l’antisémitisme et des discriminations et réaffirmer le modèle universaliste ; mesurer les phénomènes de racisme, d'antisémitisme et des discriminations ; mieux éduquer et mieux former ; sanctionner les auteurs ; et accompagner les victimes.

Spécifiquement pour le monde du travail, le plan met en avant des actions de lutte contre les discriminations tant à l’embauche que durant la carrière professionnelle ainsi que des actions permettant aux acteurs de prendre conscience du problème. Ne constituant que des simples déclarations d’intention, ces mesures devraient être précisées ultérieurement.

 

  • Mesurer les discriminations à l’emploi par un recours systématisé au « testing »

Le nouveau plan prévoit le recours massif à la pratique du « testing »[2], qui sera organisé « dans différents secteurs d’activités, privés et publics, selon des modalités qui seront construites avec les acteurs, à savoir les organisations syndicales et patronales, associations, autorités publiques concernées ». L’objectif, selon la Première ministre, est de « mesurer la réalité des discriminations, de donner des outils aux acteurs pour les éviter, de mettre en avant les bonnes pratiques, et de dénoncer les mauvaises ».

  • Des moyens coercitifs face aux situations de discrimination au travail

Afin de mieux protéger les salariés en entreprise, le plan prévoit la création d’une nouvelle amende civile, qualifiée de « dissuasive ». Prononcée en complément de l’indemnisation du préjudice subi par le salarié ou le candidat à l’embauche victimes d’une discrimination, cette amende sanctionnerait tout auteur d’une discrimination.

 

Pour aider directement les victimes, cette nouvelle amende alimenterait un fonds pour financer les actions de groupe intentées par les organisations syndicales à l’encontre d’une entreprise soupçonnée d’appliquer des pratiques discriminatoires.

Le gouvernement insiste également sur le renforcement de la réponse pénale. C’est ainsi que le nouveau plan renvoie à la publication d’une future instruction ministérielle comportant des mesures visant à faciliter le recueil des plaintes (dépôt hors services ou en mobilité, grille d’évaluation des faits pour les forces de l’ordre) ainsi qu’à pallier aux contraintes des victimes (anonymisation partielle etc.).

https://www.gouvernement.fr/actualite/un-nouveau-plan-national-contre-la-haine-et-les-discriminations

 

 

> Les salariés de la branche du travail temporaire bénéficient d’un accord relatif à la prévention des discriminations et la promotion de l’égalité et la diversité

Soucieux des enjeux majeurs que constituent la lutte contre les discriminations et la promotion active de la diversité, la branche du travail temporaire signe, le 18 novembre 2022, un accord en la matière. S’inscrivant dans le prolongement des accords de branche du 16 mars 2007 pour les salariés permanents et du 6 juillet 2007 pour les salariés intérimaires, ledit accord a pour objectif de :

  • Prévenir et agir contre les discriminations pour toutes et tous ;
  • Informer les entreprises clientes ;
  • Former pour appliquer l’égalité de traitement ;
  • Veiller à la non-discrimination dans le recrutement ;
  • Veiller à la non-discrimination des salariés en poste.

Le tableau, ci-après, synthétise les principales mesures destinées à l’ensemble des entreprises de travail temporaire (ETT), des entreprises de travail temporaire d'insertion (ETTI) et des entreprises adaptées de travail temporaire (EATT) :

Accord relatif à la prévention des discriminations et la promotion de l’égalité et la diversité

Mobilisation des acteurs

  • Désignation d’un interlocuteur égalité diversité 

Dans toutes les ETT/ETTI, quelle que soit leur taille, le chef d’entreprise désigne, après en avoir informé le comité social et économique (CSE), un interlocuteur égalité diversité parmi les salariés permanents.

Soumis à une formation spécifique, cet interlocuteur participe à la définition et mise en œuvre de la politique de l’entreprise en matière de promotion de la diversité et de lutte contre les discriminations, à l’élaboration de l’information et de la formation, et assiste les services de l’entreprise sur les actions relevant de sa mission.

  • Démarches auprès des entreprises clientes pour pallier aux commandes discriminatoires

-Remise et présentation des outils développés par la branche ou les ETT/ETTI en matière de non-discrimination et de diversité, aux entreprises clientes ;

-Accompagnement des salariés permanents qui refusent de répondre à une commande discriminatoire de la part d’une entreprise cliente. Dans ce cas, les salariés concernés doivent en informer la hiérarchie afin d’appliquer la procédure définie qui comprend une traçabilité des échanges ;

-En cas où la situation discriminatoire perdure, l’ETT ou ETTI prend toute mesure pour alerter la direction de l’entreprise cliente, allant jusqu’à la suspension de la prestation commerciale.

Recrutement

  • Information des recruteurs sur la prévention de discrimination

Toute personne impliquée dans le processus de recrutement à un emploi intérimaire ou permanent, doit être informée des sujets de prévention des discriminations ainsi que des outils développés pas la branche.

  • Objectivité du processus de recrutement

La recherche, la définition du poste, le tri, les entretiens, l’évaluation et les critères de sélection de candidats ne peuvent reposer sur aucun critère discriminatoire.

  • Recrutement et carrière des salariés permanents

Les ETT/ETTI doivent veiller, lorsque cela est possible, à ce que la validation de la décision de recrutement implique au moins deux personnes.

  • Recrutement des intérimaires

-Incitation des entreprises clientes à élargir et diversifier le plus possible leurs canaux et leurs moyens de recrutement ;

-Dans le cadre du bilan social, les ETT/ETTI qui sont dotées d’un CSE, présentent à ce dernier les modalités de recrutement et de sélection des candidats.

Déroulement de carrière

  • Egalité hommes/femmes

L’accord rappelle que toute décision, convention ou accord des ETT/ETTI en matière de formation, classification, promotion, mutation, congé, sanction disciplinaire ou licenciement doit respecter l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

  • Garantie de rattrapage salarial au retour du congé de maternité ou d’adoption 

Si l’ETT/ETTI n’est pas couverte par un accord prévoyant un rattrapage salarial, la rémunération au retour du congé « est majorée des augmentations générales appliquées dans l’entreprise ainsi que de la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant la durée de ce congé par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle ou, à défaut, de la moyenne des augmentations individuelles dans l’entreprise ».

  • Objectivité des critères de promotion

Les ETT/ETTI veillent à garantir les mêmes chances en termes de parcours professionnels et les mêmes possibilités d’évolution de carrière pour tous les salariés permanents de l’entreprise, à temps plein ou à temps partiel.

Formation

  • Formation obligatoire à la non-discrimination à l’embauche

-Elaboration par la branche d’une module pour accompagner les ETT/ETTI dans la mise en œuvre la formation obligatoire des salariés chargés des missions de recrutement (salariés employés dans les agences et salariés impliqués dans la relation avec les entreprises clientes), telle que prévue par la loi.

-Formation spécifique des managers et des responsables ressources humaines sur la gestion de la diversité.

  • Formation des intérimaires

-Il est demandé aux ETT/ETTI de mettre en place une politique de formation qui permet aux salariés intérimaires d’accéder à l’emploi, de maintenir leur employabilité et de développer leurs compétences ;

-Programmes de formation nationaux spécifiques mis en place par la branche pour l’acquisition des savoirs et des compétences de maitrise de la langue française. En complément, la Commission paritaire nationale de l’emploi mène des travaux pour élaborer un socle de compétences clés visant à renforcer les savoirs transverses (lecture, écriture, communication, etc.) des intérimaires faiblement qualifiés.

Les engagements entrepris dans l’accord seront communiqués à l’ensemble des entreprises clientes, les candidats à un emploi intérimaire ou permanent, et les salariés intérimaires et permanents d’ici le 1er décembre 2023.

Pour ce faire, la branche élaborera un guide pratique à destination des agences d’emploi, une plaquette leur donnant des repères nécessaires pour développer un argumentaire commercial anti-discriminatoire et neutre, une brochure à l’attention des candidats et salariés intérimaires, ainsi qu’une plaquette aux entreprises utilisatrices leur rappelant les dispositions légales et les engagements des ETT/ETTI.

Vous trouverez, ci-après, l’intégralité de l’accord relatif à la prévention des discriminations et la promotion de l’égalité et la diversité chez la branche du travail temporaire.

 

> Jurisprudence : une répartition de la charge de la preuve partagée en matière de discrimination à l’embauche (Cour de cassation, 14 décembre 2022, pourvoi n°21-19.628)


La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle, dans un arrêt du 14 décembre 2022, les règles applicables en matière de répartition de la charge de la preuve lorsqu’un salarié invoque l’existence d’une discrimination à l’embauche.

 

Pour rappel :
En vertu de l’application des dispositions de l’article L.1134-1 du code du travail :
- Dans un premier temps, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination ;
- Dans un second temps, il appartient à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;
- Il appartient ensuite au juge de former sa conviction au vu de l'ensemble de ces éléments.

 

En l’espèce, un salarié embauché par une entreprise de travail temporaire en qualité de pré-monteur et monteur, a effectué une succession de contrats de mission en raison de l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.

Le salarié a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de ses contrats de mission en CDI, et d’une demande en paiement de dommages-intérêts au titre d’une discrimination à l’embauche. La Cour d’appel a retenu une discrimination à l’embauche à l’encontre du salarié par l’employeur. L’employeur contestant la décision des juges de fond, se pourvoit en cassation.

Le salarié a fourni une pièce comportant une analyse statistique des embauches effectuées par la société utilisatrice en fonction du patronyme des salariés, afin de prouver l’existence « d’une discrimination en raison de la race ou de l’origine ». Cependant, les juges de fond rappellent qu’il revenait à l’employeur de démontrer qu’il a écarté le recrutement du salarié pour une raison liée à son âge et non pas en raison de ses origines. Elle retient également que les statistiques fondées sur le patronyme des salariés étaient de nature à laisser supposer une discrimination à l'embauche en raison de l'origine à l'encontre du salarié.

Les juges de cassation rejettent le pourvoi formé par l’employeur. Tout d’abord, la Cour confirme l’interprétation de la Cour d’appel, qui avait constaté que le salarié estimait avoir fait l'objet d'une discrimination à l'embauche en raison de son nom à consonance extra-européenne.

Ensuite les juges de cassation se basent sur les éléments apportés par le salarié, et plus particulièrement sur les statistiques établies par ce dernier, à partir des registres du personnel et de l'organigramme de l'entreprise utilisatrice pour former sa conviction. Lesdits registres mettent en avant que, parmi les salariés à patronyme européen recrutés en intérim, 18.07 % s’étaient vus accorder un CDI, contre 6.9 % pour les salariés à patronyme extra-européen, ou encore, 80.93% des salariés à patronyme européen étaient en CDI dans l’entreprise utilisatrice, pour seulement 21.43 % des salariés à patronyme extra-européen.

Et enfin, les Hauts magistrats en déduisent que l’employeur n’apportait pas des éléments suffisamment convaincants afin de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il en ressort de cette décision commentée que finalement, la production des analyses statistiques par la victime faites à partir du registre unique du personnel communiqué par l'employeur, a réussi à faire naître un doute raisonnable dans l’esprit du juge et le convaincre de l’existence d’une discrimination à l’embauche par l’employeur.

Autrement dit, la répartition de la charge de la preuve en matière de discrimination à l’embauche demeure partagée, entre d’une part le salarié qui doit présenter des éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination, et d’autre part l’employeur qui doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination".

 

 

 


Compte-rendu
Prospective : Quelles évolutions du travail dans les 5 prochaines années ?

Prospective : Quelles évolutions du travail dans les 5 prochaines années ?

Compte-rendu de l’intervention de Marc Malenfer, responsable mission veille et prospective INRS

Journée de présentation du quatrième Plan régional de santé au travail du Grand Est – 11 octobre 2022

 

Le 11 octobre 2022 s’est tenue une journée d’études sur la santé au travail dans le Grand Est, organisée par le Comité régional d’orientation des conditions de travail (CROCT), avec la collaboration de l’Institut du travail de Strasbourg. Parmi les intervenants, Marc Malenfer, Chargé de mission à l’INRS, a abordé la question cruciale de l’évolution des organisations du travail après la pandémie Covid-19, à partir de la présentation des travaux prospectifs menés par l’association de prospective Futuribles International et l’INRS.

 

M. Malenfer débute son intervention en décrivant le contexte et les étapes de réalisation de cette étude prospective. Le premier chantier a été mené en 2020, en collaboration entre Futuribles et l’INRS. L’association Futuribles International et ses adhérents, à l’initiative de ce projet, ont fait appel à l’INRS afin d’engager une réflexion visant à se projeter vers l’évolution des organisations du travail après la crise de la Covid-19. Puis, un deuxième chantier a été conduit fin 2020 début 2021, essentiellement par l’INRS avec l’appui du réseau de l’Assurance maladie-Risques professionnels et de l’ANACT, afin d’approfondir plus spécifiquement les enjeux de santé sécurité associés.

 

Selon l’intervenant, la problématique qui entourait cette demande initiale était claire : « la crise sanitaire venait percuter nettement les organisations du travail qui ont du adapter leur fonctionnement, parfois par des mesures conjoncturelles liées à la pandémie elle-même et aux caractéristiques du virus, ou par d’autres qui relèvent d’une accélération des changements qui étaient déjà en œuvre dans le monde du travail, à savoir une individualisation des relations du travail, une accélération de la numérisation et de l’automatisation, des interrogations autour des chaines de valeur ».

 

Il s’agissait donc d’anticiper ces bouleversements par un travail prospectif : « Si l’avenir ne se prévoit pas forcement, il se prépare », relève l’intervenant. L’intérêt de la prospective, « c’est de donner à voir différents futurs possibles afin que, dans leurs décisions stratégiques, les acteurs intègrent les différents éléments d’évolution de leur environnement pour pouvoir se préparer au mieux aux évolutions à venir ». Pour ce faire, la prospective s’appuie sur « des outils méthodologiques qui permettent de dessiner de manière construite et rationnelle des scénarios contrastés de futurs possibles ».

 

I. Première phase du travail prospectif : Quelles évolutions des organisations du travail ?

 

L’intervenant décrit ensuite les étapes marquantes de la première phase de l’étude. 6 variables ont été sélectionnées : le travail à distance, l’évolution des collectifs du travail et leur animation, les règles d’encadrement des relations de travail, l’accélération de l’automatisation du travail, le sens au travail et, pour finir, l’évolution de la formation et des compétences des travailleurs.

Sur chacune de ces variables, des hypothèses d’évolution pour les années à venir ont été construites afin de dresser des scénarios d’évolution. Quatre scénarios contrastés d’évolutions possibles des organisations du travail se profilent, « par exemple un scenario tendanciel avec des organisations hétérogènes et avec des inégalités statutaires, un autre plus optimiste de flexisécurité des organisations ». Néanmoins, « c’est surtout ce qui peut être tiré en termes d’enjeux qui est important », souligne l’intervenant. Il s’attarde ainsi sur quatre enjeux qui ont été dégagés durant cette première phase, tout en évoquant les constats historiques, les émergences ainsi que les problématiques qui les entourent :

 

1. Le développement du travail à distance

 

« Historiquement, en France, le télétravail était peu développé, avec des attentes de la part des salariés et des pouvoirs publics, mais aussi des résistances de la part des organisations », rappelle l’intervenant.

Avant l’émergence de la crise sanitaire, des signaux faibles de développement du télétravail apparaissent, « avec par exemple le coworking, le développement du travail à la tache ou le crowdworking » ou même « le passage en 100% distanciel pour certaines entreprises ».

Se profile ainsi une série de questions « que doivent se poser les acteurs à l’occasion de leurs réflexions stratégiques ». Plus précisément, comment maintenir la cohésion des équipes, organiser le management à distance, gérer l’’intégration des nouveaux embauchés dans ce contexte de travail, mesurer les effets sur l’innovation et la créativité.

 

2. L’autonomie des travailleurs et des équipes

 

Durant la crise, « l’autonomie a acquis un nouvel élan tant de la part des travailleurs présents sur site durant le confinement, faisant l’objet d’un encadrement très réduit du fait du télétravail des managers, que des télétravailleurs eux-mêmes », constate-t-il.

« Avec l’utilisation des outils numériques, l’activité peut être prescrite et surveillée très précisément », remarque l’intervenant. C’est ainsi que surgisse tout une série de questions, notamment la façon dont il faut exploiter et redéfinir la question de l’autonomie après le retour à la normale, sa gestion, l’adéquation entre autonomie et compétences, la place qu’auront les collectifs du travail dans la définition de leurs modalités de travail, les choix en matière d’outils numériques (plutôt collaboratifs ou prescriptifs).

 

3. Le sens au travail

 

« Jusqu’à présent, les politiques RSE des entreprises étaient essentiellement cantonnées à des simples rapports de communication. Après la crise sanitaire, les questions RSE et environnementales sont de plus en plus intégrées dans les orientations stratégiques des entreprises », signale M. Malenfer.

Face à ces constats, les entreprises sont incitées à avoir une réflexion plus élargie et systémique : « Plutôt que de réfléchir à un plan de continuité d’activité en cas de crise qui soit tourné uniquement sur son fonctionnement, l’entreprise doit désormais y intégrer tout son écosystème (les fournisseurs, les sous-traitants, etc.). C’est ce dernier qui détermine aussi sa capacité de survie ».

 

4. La formation des travailleurs

 

Sur cette question, l’intervenant se limite à signaler la nécessité d’accompagner les transitions professionnelles, que ce soient les transitions choisies ou les transitions subies, notamment au niveaux des territoires (bassins d’emplois).

 

II. Deuxième phase du travail prospectif : Quels enjeux en santé et sécurité au travail ?

 

Cette deuxième phase « constitue un approfondissement spécifique des questions de santé et sécurité au travail », rappelle M. Malenfer. A son issue, cinq enjeux ont été identifiés « qui semblent particulièrement déterminants et fortement imbriqués les uns avec les autres ».

 

1. L’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC)

 

Durant la crise sanitaire, l’explosion du télétravail et du e-commerce constitue la manifestation la plus visible de l’utilisation des TIC. Selon l’intervenant, les conséquences de ce recours massif au TIC, « ne se limitent pas à une augmentation des risques psychosociaux ».

IPar exemple, « avec l’explosion du e-commerce et de la prescription automatisée des tâches, des phénomènes d’intensification du travail surgissent, ayant une incidence sur la santé physique des opérateurs en matière d’accidentologie, et notamment en matière de survenance des troubles musculo-squelettiques ». En outre, l’intervenant attire l’attention sur des nouvelles questions qui se posent pour les acteurs de la santé-sécurité au travail telles que les conséquences de la sédentarité.

Quelle posture donc adopter face à ces problématiques ? « Certes, la solution n’est pas la technophobie mais la mobilisation de ces technologies pour lutter contre les risques professionnels et promouvoir la prévention », recommande l’intervenant. Selon lui, une réflexion doit être menée en termes de partage de l’information, tout comme d’implication des travailleurs et des partenaires sociaux « pour arriver à des usages de la technologie qui soient adaptés aux besoins des entreprises et qui n’ajoutent ni risques ni contraintes ».

 

2. L’évolution des modes d’organisation du travail

 

L’utilisation des TIC, telle que décrite, ouvre des nouvelles possibilités organisationnelles. L’intervenant remarque, qu’à la sortie de la crise, plusieurs entreprises cherchent à être agiles. Or, « l’agilité peut se traduire par des modalités organisationnelles qui sont souvent connues pour être problématiques pour la santé des opérateurs », alerte-t-il. Une série de phénomènes confirment cette affirmation : le développement des horaires atypiques de travail, la difficile conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, l’individualisation de la relation de travail, une réduction des marges de manœuvre avec des outils de prescription numérique ou même l’apparition de dispositifs ne prévoyant pas de recueillir le point de vue des opérateurs sur l’organisation du travail et la production. Pour cette raison, l’étude identifie deux publics qui méritent une attention particulière, à savoir l’encadrement intermédiaire et les jeunes travailleurs.

 

3. L’évolution des statuts d’emploi

 

« Cette évolution des organisations du travail qui est permise par les TIC, peut se traduire par une évolution des statuts d’emploi des travailleurs », relève l’intervenant. Ainsi, en France, « bien que la norme dominante reste le CDI à temps plein, on voit se développer de plus en plus des formes de travail atypiques, avec par exemple des horaires fractionnées ou du travail de nuit».

Un autre aspect de ce phénomène constitue le développement du travail indépendant, avec des systèmes de management et de rémunération à la tâche via des applications. « Ces systèmes de management algorithmique entrainent une intensification du travail, accroissent l’écart entre le travail prescrit et le travail réel et mettent en concurrence des travailleurs entre eux », signale M. Malenfer.

Alternativement, à l’issue de la crise sanitaire, une volonté des travailleurs de reprendre la main sur le travail se dessine : « Le nombre de coopératives en France est passé de 1800 à 3600 entre 2005 et 2020 », révèle l’intervenant. Il estime, en outre, que de plus en plus d’entreprises adopteront des formes de gouvernance impliquant les travailleurs dans l’organisation du travail.

 

4. La préservation des collectifs de travail

 

L’expérience de la crise sanitaire a offert une série d’enseignements sur la préservation des collectifs de travail. D’une part, elle a démontré « l’importance d’avoir des travailleurs qui se connaissent, qui savent travailleur ensemble et réagir collectivement ». D’autre part, elle a souligné le caractère déterminant du collectif dans la construction de la prévention en matière de santé et de sécurité.

 

5. La maitrise des interfaces de travail, ou la complexification des chaines de valeur

 

Dans les chaines de valeur internationalisées, avec une multitude d’acteurs et des organisations très éclatées, apparaissent ce que l’intervenant qualifie de « zones grises ». Ce sont selon lui « des moments de transitions, d’interfaces dans lesquelles on a de la coactivité avec plusieurs entreprises qui interviennent (avec plusieurs statuts normatifs) et des travailleurs aux statuts variés (CDI, CDD, intérim, détachés) ». Ces situations posent notamment des défis considérables aux inspecteurs du travail dans la reconstitution des responsabilités et l’accomplissement de leur travail de prévention.

 

A la fin de sa présentation, l’intervenant propose deux exemples actuels illustrant l’articulation entre ces cinq enjeux susmentionnés, à savoir le développement du travail à distance et le développement du travail des plateformes.

Premièrement, « le développement du travail à distance, permis par les TIC et ayant fait évoluer les modes d’organisation de l’entreprise, avec le travail hybride, le flex office, etc., pose des questions de statut d’emploi », indique l’intervenant. En effet « dès lors qu’on a une relation de plus en plus individualisée, avec des travailleurs qui ne viennent plus sur site, certains acteurs peuvent s’interroger sur une modification de contrats de travail salariés en contrats de prestations de services assurées par des indépendants ». Par ailleurs, il s’avère que toutes les entreprises qui appliquent le travail hybride se posent la question de l’intégration des nouveaux embauchés, des modes de management, ainsi que la question des « zones grises » (responsabilités des uns et des autres en fonction du lieu de travail).

Deuxièmement, « le travail des plateformes, permis par de progrès technologiques (Smartphone, 4G, GPS) qui sont mobilisés pour imaginer des nouvelles organisations du travail, en l’occurrence le travail à la tâche via des applications mobiles, offre directement et volontairement des nouvelles possibilités de statuts d’emploi ». Il en résultent des nouveaux statuts de travailleurs indépendants, « en concurrence les uns avec les autres, exerçant dans des configurations de travail où la plateforme organise le service, rémunère les livreurs confrontés à des clients / restaurateurs, travaillant sur la voie publique, sans que la plateforme soit responsable de la santé sécurité au travail ».

« Il s’agit donc de situations qui sont inédites pour les acteurs de la santé et sécurité au travail », remarque l’intervenant. Elles engendrent ainsi une série de difficultés, notamment : « l’adaptabilité du cadre institutionnel habituel de la prévention, la question de la responsabilité, de l’assurance AT/MP et ses leviers de prévention, du suivi médical d’un certain nombre de travailleurs qui est rendu de plus en plus difficile, l’application des principes généraux de prévention, la place réduite du point de vue des travailleurs ».

M. Malenfer propose donc des pistes d’action pour la prévention. Il insiste d’une part sur la mobilisation des TIC de manière intelligente, et d’autre part sur le maintien d’un dialogue social abordant des sujets technologiques, soulignant néanmoins leurs conséquences importantes du point de vue organisationnel. Il insiste également sur la nécessité de maintenir un cadre responsabilisant les acteurs, notamment les donneurs d’ordre.

 

Pour en savoir plus

Retrouver les résultats de la recherche et plus d’informations via ce lien : www.inrs.fr/prospective

www.inrs.fr/media.html



Retrouver les vidéos de l’ensemble des présentations de la journée de présentation du PRST 4 Grand Est organisée le 11 octobre 2022 : https://grand-est.dreets.gouv.fr/PRST4-Grand-Est-journee-de-presentation-11-octobre-2022

Ce thème a également fait l’objet d’un webinaire "Le travail après la pandémie de Covid-19 : Quelles évolutions des organisations ? Quels enjeux de santé et sécurité ?" organisé le 16 décembre 2022 par l’Institut du travail de Strasbourg, avec le soutien de la DREETS Grand Est. Le support de l’intervenant peut être mis à disposition sur demande à tiphaine.garat[at]unistra.fr

Retrouver tous les webinaires organisés par l’Institut du travail : https://idt.unistra.fr/recherches-et-publications/colloques-et-seminaires-organises-par-linstitut-du-travail-de-strasbourg/

 

 


Invitation
Invitations aux prochains Rendez-vous du dialogue social

L'Institut du travail de Strasbourg, en partenariat avec la DREETS Grand Est, a le plaisir de vous convier à un cycle de conférences dans le Grand Est et à distance. Nous souhaitons que ces Rendez-vous soient un lieu d'échanges et de débat profitables à tous. Voici les  prochains webinaires :

  • Inscription gratuite mais obligatoire
  • Le lien pour le webinaire sera envoyé, après inscription, quelques jours avant la conférence.

 

Transition écologique et attributions environnementales du CSE : un nouveau défi à relever pour les élus du personnel
Webinaire animé par Caroline Valnus, juriste, enseignant-chercheur à l'Institut Régional du Travail, Aix-Marseille Université
Mardi 14 mars - de 11h à 12h
> En distanciel

 Inscription

 

Actualités des dispositifs négociés de rupture
Conférence animée par Hélène Cavat, enseignant-chercheur, juriste en droit social à l'Institut du travail de l'Université de Strasbourg.
Vendredi 17 mars 2023 - de 9h à 12h
> Conférence organisée à Châlons-en-Champagne (Salle de séminaire à l'IBIS Styles centre - 26 Place de la République)

 Inscription

 

Salaire minimum, bas salaire et pouvoir d'achat : le renouveau du débat, en France et dans les pays de l'OCDE
Conférence animée par Jérôme Gautié, professeur d'économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Mercredi 5 avril 2023 - de 14h à 17h
> Conférence organisée à Strasbourg (Amphithéatre Alain Beretz - Nouveau Patio - Présidence de l'Université de Strasbourg - 20A Rue René Descartes)

 Inscription