Pour permettre l’entrée en vigueur des principales mesures de la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 visant à renforcer la prévention en santé au travail dite Loi Santé au travail au 31 mars 2022, deux décrets d’applications ont été publiés au journal officiel du 16 mars 2022. Ils constituent un véritable éclaircissement pour les praticiens du droit et le monde du travail concernant l’organisation et la mise en œuvre des dispositifs de retour à l’emploi, mécanismes de prévention de santé au travail et de désinsertion professionnelle. Ces textes introduisent des nouveaux dispositifs ou actualisent des dispositifs existants. Nous allons les présenter successivement.
PARTIE 1. Le décret n° 2022-373 du 16 mars 2022 relatif à l'essai encadré, au rendez-vous de liaison et au projet de transition professionnelle
L’essai encadré
La mise en œuvre de l’essai encadré
Les dispositions relatives à la mise en œuvre de l’essai encadré sont en vigueur depuis le 31 mars 2022, et s’appliquent également aux arrêts de travail en cours au 31 mars 2022.
L’essai peut intervenir à la demande du salarié relevant du régime général, du travailleur temporaire, de l’apprenti et du stagiaire de la formation professionnelle en arrêt de travail total ou partiel, indemnisé par la CPAM au titre de la maladie, d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle.
La CPAM a la possibilité de rejeter la demande de l’assuré de réaliser l’essai. Cette demande de rejet doit être motivée et préciser les voies et délais de recours.
L’objectif est de permettre au salarié d’évaluer, pendant son arrêt de travail, au sein de son entreprise ou d’une autre entreprise la compatibilité de son poste de travail avec son état de santé.
En effet, cet essai permet de mesurer la capacité du salarié à reprendre son ancien poste, ou à essayer d’adapter ce dernier aux nouvelles circonstances. À défaut, il permettra de démontrer l’impossibilité pour le salarié de retourner à son ancien poste, l’essai permet à l’employeur d’anticiper, et de prévoir une affectation du salarié à un nouveau poste compatible avec son état de santé. Au cours de la période d’essai encadré, le salarié est suivi par un tuteur au sein de l’entreprise pour évaluer la compatibilité de son poste avec son état de santé.
La mise en œuvre de l’essai est rendu possible à la demande de l’assuré à la suite d’une évaluation globale de sa situation par le service social avec l’accord du médecin traitant, du médecin conseil et du médecin du travail assurant le suivi du salarié.
La période de l’essai encadré doit faire l’objet d’une convention formalisant les engagements des partenaires (SPST, service de la CARSAT, organisme de placement spécialisé dans l’accompagnent ou le maintien dans l’emploi des personnes handicapées.) et du tuteur chargé du suivi du salarié dans l’entreprise.
Le décret vient préciser la durée de l’essai en indiquant qu’il ne peut excéder 14 jours ouvrables, il est cependant renouvelable dans la limite d’une durée totale de 28 jours ouvrables.
Au cours de l’essai encadré
Lors de la réalisation de l’essai, le versement des indemnités journalières, et le cas échéant de l’indemnité complémentaire versée par l’employeur, est maintenu. A contrario, l’entreprise dans laquelle l’assuré effectue l’essai encadré n’a pas à verser de rémunération au titre de l’essai.
Dans l’hypothèse où un accident de travail survient, ou dans le cas où on constate une maladie professionnelle au cours de la période de l’essai encadré, c’est l’entreprise dans laquelle est réalisé l’essai encadré qui doit déclarer l’accident ou la maladie à la caisse primaire d’assurance-maladie dont relève la victime.
À l’issue de l’essai encadré
Ce bilan doit être communiqué au médecin du travail de l’employeur, ainsi qu’à celui de l’entreprise d’accueil le cas échéant, au service social, et le cas échéant aux organismes de placement spécialisés dans l’insertion professionnelle des personnes handicapées.
Le rendez-vous de liaison
Le rendez-vous de liaison entre le salarié et l’employeur est une création de la loi Santé au travail introduit à l’article L 1226-1-3 du code du travail. Entrée en vigueur le 31 mars 2022, son objectif est la prévention de la désinsertion professionnelle du salarié, en informant le salarié des actions de prévention, examen de pré-reprise et mesures d’aménagement du poste et du temps de travail dont il peut bénéficier.
L’employeur, ou le salarié, peut être à l’initiative de son organisation et l’employeur doit à présent systématiquement informer le salarié qu’il peut bénéficier de ce rendez-vous.
Le salarié est en droit de refuser cet entretien. Aucune conséquence ne peut être tirée de son refus de se rendre à ce rendez-vous.
Si l’entretien est organisé, il peut se tenir pendant la période d’arrêt de travail.
Le décret précise que son organisation est possible après 30 jours d’arrêt de travail.
A noter également la création de la visite de mi-carrière qui a pour objectif d’établir un état des lieux de l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du travailleur, d’évaluer les risques de désinsertion professionnelle et de sensibiliser le travailleur aux enjeux du vieillissement au travail. Elle sera réalisée par le médecin du travail ou l’infirmier de santé au travail.
Le projet de transition professionnelle
Le projet de transition professionnelle est une modalité particulière de mobilisation du compte personnel de formation, permettant aux salariés souhaitant changer de métier ou de profession de financer des formations certifiantes en lien avec leur projet. Dans ce cadre, le salarié peut bénéficier d’un droit à congé et d’un maintien de sa rémunération pendant la durée de l’action de formation (voir sur le site du Ministère du travail).
Le décret du 31 mars 2022 a mis en place un nouveau cas de dérogation concernant les conditions d’ancienneté exigées pour bénéficier d’un projet de transition professionnelle (pour rappel, la loi demande une ancienneté d’au moins 24 mois, consécutifs ou non, en qualité de salarié, dont 12 mois dans l’entreprise, quelle qu’ait été la nature des contrats de travail successifs).
Ainsi, le salarié n’a pas à apporter de justification liées à son ancienneté dans l’hypothèse où il a connu, indifféremment de la nature de son contrat et dans les 24 mois ayant précédé sa demande de projet de transition professionnelle, une absence au travail résultant d’une maladie professionnelle ou une absence au travail d’au moins 6 mois, consécutifs ou non, résultant d’un accident du travail, d’une maladie ou d’un accident non-professionnel.
PARTIE 2. Le décret n° 2022-372 du 16 mars 2022 relatif à la surveillance post-exposition, aux visites de pré-reprise et de reprise des travailleurs ainsi qu'à la convention de rééducation professionnelle en entreprise
La surveillance post-exposition
Le décret du 16 mars 2022 pris en application de la loi Santé au Travail clarifie et adapte les conditions et règles applicables dans le cadre de la surveillance post-exposition ou post-professionnelle, en précisant notamment que la visite médicale prévue à l’article L. 4624-2-1 du code du travail est effectuée dès la survenue des différents cas de cessation de l’exposition aux risques donnant lieu à un suivi individuel renforcé et en prévoyant que l’état des lieux des expositions, dressé au cours de la visite, est versé au dossier médical en santé au travail, afin d’assurer un meilleur suivi de la santé du salarié.
La loi Santé au travail a prévu que la visite médicale de fin de carrière doit être organisée pour :
- Les salariés bénéficiant ou ayant bénéficié d’un suivi individuel renforcé de leur état de santé.
- Les salariés ayant bénéficié d’un suivi médical spécifique du fait de leur exposition à un ou plusieurs des risques spécifiques antérieurement à la mise en œuvre du dispositif de suivi individuel renforcé.
Le décret du 16 mars prévoit que :
- La visite médicale post-exposition est effectuée dès la survenue des différents cas de cessation de l’exposition aux risques donnant lieu à un suivi individuel renforcé ;
- L’état des lieux des expositions, dressé au cours de la visite, est versé au dossier médical en santé au travail, afin d’assurer un meilleur suivi de la santé du salarié.
À défaut d’action de l’employeur, si le salarié estime être éligible à la visite, il peut, durant le mois précédant la date d’exposition ou son départ, et jusqu’à 6 mois après la cessation de l’exposition demander à en bénéficier directement auprès des services de prévention et de santé au travail, il doit informer l’employeur de la mise en œuvre du mécanisme d’organisation de la visite.
La visite de pré-reprise
La visite de pré-reprise a pour but d’accompagner le salarié dans son retour au travail. C’est une visite médicale de type particulier; en effet, elle est facultative, et a lieu durant l'arrêt de travail du salarié. Elle a pour but de préparer la reprise du travail, si celle-ci s'annonce difficile.
Depuis la loi Santé au travail, les travailleurs en arrêt de travail de plus de 30 jours peuvent bénéficier d’une visite de pré-reprise (au lieu de 3 mois).
La visite de pré-reprise peut être organisée à l’initiative du salarié, ou du médecin traitant, du médecin conseil et, depuis la loi Santé au travail, par le médecin du travail.
Visite de reprise des travailleurs
La visite de reprise a également pour but d’accompagner le salarié dans son retour au travail après un arrêt de travail de longue durée, une absence pour maladie professionnelle ou un congé maternité.
Le récent décret a également revu les délais pour en bénéficier, distinguant selon l’origine professionnelle ou non de l’origine de l’arrêt. Le décret précise que, depuis le 31 mars 2022, le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail :
- Après un congé de maternité ;
- Après une absence pour cause de maladie professionnelle ;
- Après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail ;
- Après une absence d'au moins soixante jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel.
La convention de rééducation professionnelle en entreprise
La convention de Rééducation Professionnelle en Entreprise (CRPE), jusqu'ici réservée aux travailleurs handicapés, est ouverte aux salariés jugés inaptes ou à risque par un médecin du travail. Ils pourront désormais bénéficier de ce dispositif pour se former jusqu'à 18 mois à un autre métier au sein de leur entreprise ou d'une autre entreprise, tout en conservant leur contrat de travail et leur rémunération. Cet outil s’adresse aux personnes qui ne peuvent pas, ou risquent de ne pas pouvoir, reprendre leur emploi après un arrêt de travail.
La CRPE permet au salarié de bénéficier d’une formation pratique tutorée et individualisée en entreprise, pouvant être complétée de cours théoriques.
La CRPE est conclue entre l’employeur, le salarié et la caisse primaire d’assurance-maladie. Elle est transmise pour information à la Direction Régionale de l’Économie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DREETS).
Ses dispositions déterminent les modalités d’exécution de la rééducation professionnelle ainsi que le montant et les conditions dans lesquelles la caisse primaire d’assurance-maladie verse au salarié l’indemnité journalière.
Le décret définit le montant total de la rémunération perçue par le salarié qui ne peut être inférieur à la rémunération perçue avant l’arrêt de travail précédant la mise en place de la convention. Le salaire est pris en charge par l’Assurance Maladie, sous la forme d’indemnités journalières, et par votre employeur. Le partage de la prise en charge entre l’assurance maladie et l’employeur est négocié dans le cadre de la signature de la convention.
En outre, le décret fixe la durée maximale de la convention qui ne peut être supérieure à 18 mois, déterminée en tenant compte, le cas échéant, de la durée de l’arrêt de travail qui a précédé sa mise en place.
Autres mesures importantes de la Loi Santé au travail entrées en vigueur au 31 mars 2022
Ces points feront l’objet d’une prochaine lettre d’information.
- Document unique d’évaluation des risques professionnels : Alors que le DUERP devait jusque-là comporter un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail, la loi Santé au travail ajoute qu’il doit répertorier l’ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs et assurer la traçabilité collective des expositions. Les règles d’élaboration, de conservation et de mise à disposition du DUERP ont aussi été révisées par un décret du 18 mars 2022. Ce texte supprime notamment l’obligation de mise à jour annuelle dans les entreprises de moins de 11 salariés. En outre, les employeurs n’ont à mettre à disposition des salariés et anciens salariés que les versions en vigueur durant leur période d’activité dans l’entreprise.
De plus, à compter du 1er juillet 2023 pour les entreprises d’au moins 150 salariés, le DUERP et ses mises à jour devront être déposés sur un portail numérique, géré par les organisations patronales. Un décret du 5 avril en a défini les modalités et les organisations professionnelles précitées ont jusqu’au 31 mai prochain pour transmettre au Ministre chargé du travail la proposition de cahier des charges du portail numérique ainsi que les statuts de l’organisme gestionnaire. Ces éléments devront faire l’objet d’un agrément par voie d’arrêté.
- Suivi de la santé des travailleurs : Depuis le 1er avril 2022, les services de santé au travail (SST) sont devenus les services de prévention et de santé au travail (SPST). Leurs missions sont étendues : évaluation et prévention des risques professionnels, actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, campagnes de vaccination et de dépistage, conseils en matière de conditions de télétravail... Ils doivent mettre en place une cellule dédiée à la prévention de la désinsertion professionnelle. L'objectif est de proposer des actions de prévention collectives et individuelles d'amélioration des conditions de travail et d'éviter l'inaptitude. Par ailleurs ; un décloisonnement entre les acteurs de la santé publique et ceux de la santé au travail est initié, en permettant notamment au médecin du travail d’avoir accès au dossier médical partagé du travailleur si ce dernier donne son consentement exprès.
- Formation des élus du CSE : La loi Santé au travail prévoit 5 jours minimum de formation santé, sécurité et conditions de travail pour les membres du CSE. En cas de renouvellement de leur mandat, ils bénéficieront de 3 jours supplémentaires de formation. Les membres de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) bénéficient de 5 jours supplémentaires de formation. Le financement est pris en charge par l'employeur. Le décret du 18 mars détermine aussi les modalités de prise en charge, par les OPCO, des formations en santé, sécurité et conditions de travail des élus du CSE des entreprises de moins de 50 salariés.
- Dialogue social : Modification du bloc de négociation sur la qualité de vie au travail (QVT) qui devient celle de la qualité de vie et des conditions de travail (QVTC).