Le CAE donne ses recommandations pour lutter contre les discriminations sur le marché du travail dans sa note de juin 2020.

Égalité dans le travail
Non-discrimination

- Auteur(e) : Sara Klack

Le 30 juin 2020, le Conseil d’analyse économique (1) a publié une note relative à la lutte contre les discriminations sur le marché du travail dans laquelle Stéphane Carcillo (2) et Marie-Anne Valfort (3) avancent plusieurs pistes pour tenter de les combattre efficacement.

 

Cette note a notamment été présentée aux cabinets du Président de la République, du Premier Ministre, de la Ministre du travail, ainsi que d’autres membres du gouvernement. 

 

Une des principales propositions du CAE est la mise en place d’un indice « diversité et inclusion » au sein des entreprises pour leur permettre de mesurer les discriminations pratiquées, mais également de valoriser leur politique de lutte contre les discriminations. 

 

 

  1. Constats relatifs aux discriminations sur le marché du travail en France

Décrit comme « un fléau qui touche la France », la discrimination sur le marché du travail, plus particulièrement à l’embauche, touche fortement certaines minorités, principalement les minorités ethniques et religieuses. 

En effet, si l’on se penche sur le ressenti de la population selon l’Eurobaromètre édition 2019, 8 français sur 10 affirment que la discrimination fondée sur la couleur de peau, l’origine ethnique ou la religion est répandue. 

Les autres principaux motifs répandus de discriminations selon les Français sont notamment l’orientation sexuelle, le handicap, l’âge, le sexe.

Il est par ailleurs constaté que ce ressenti est beaucoup plus fort en France que dans le reste de l’Union Européenne.

 

Des résultats similaires ont été obtenus lors de la 10e édition du Baromètre de la perception des discrimi­nations réalisé en France en 2016 par le Défenseur des droits et l’OIT. Cette enquête souligne également le fait que le ressenti des discriminations par les français est beaucoup plus important dans le champ de l’accès à l’emploi et de la carrière professionnelle qu’il ne l’est dans le champ de l’accès aux biens et services, à l’éducation ou au logement. 

 

Pour être plus précis, selon l’enquête « Trajectoires et Origines » de l’INED et l’INSEE datant de fin 2008, il est particulièrement plus fort dans l’accès à l’emploi qu’au cours de cet emploi. 

 

Plus qu’un simple ressenti, la discrimination sur le marché du travail en France est une véritable réalité. Une des méthodes les plus utilisées pour la mesurer est le testing sur CV. Elle a permis de montrer que les femmes en âge d’avoir un enfant sont particulièrement discriminées, notamment dans l’accès aux postes à responsabilité. Cette méthode révèle également l’importance de la discrimination fondée sur la couleur de peau en France, de même que celle fondée sur l’âge ou encore une discrimination plus spécifique à l’encontre des musulmans. 

 

Elle ne s’exerce d’ailleurs pas seulement à l’embauche mais aussi durant la carrière professionnelle, comme le révèlent les études réalisées à partir de données d’enquêtes représentatives sur les salaires. Encore une fois, les femmes sont particulièrement touchées avec des pénalités salariales « inexpliquées » de 10% par rapport aux hommes. 

 

Les auteurs de la note font le constat que ces fortes discriminations ont des conséquences non négligeables en France puisqu’elles font peser un coût sur l’économie et la cohésion nationale. À titre d’exemple, elles diminuent la demande de travail aux dépens des groupes discriminés, ce qui réduit les salaires des membres de ces groupes et accroit leurs difficultés d’accès à l’emploi. Ceci a pour conséquence d’augmenter les dépenses publiques via l’indemnisation du chômage et les transferts sociaux en faveur des personnes discriminées. 

Certaines études ont montré qu’en France, « une réduction modeste des écarts de taux d’emploi et de salaire entre les populations discriminées en raison de leur sexe et de leur origine ethnique et les autres rapporterait 7 % du PIB en 20 ans, soit 150 milliards d’euros ».  

 

 

Face à tous ces constats, le Conseil d’analyse économique suggère plusieurs mesures afin de faire évoluer les choses positivement. 

 

  1. Les pistes pour lutter contre ces discriminations 

Plusieurs pistes sont envisagées par les auteurs du document qui proposent alors 8 recommandations correspondant à des mesures concrètes permettant de pallier aux constats vus précédemment. 

À titre d’exemple, le CAE propose d’étendre le congé paternité à 4 semaines de manière à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes. L’idée serait en effet d’impliquer davantage les pères dans l’éducation des enfants afin d’obtenir un effet sur le partage des tâches domestiques par la suite. Cela permettrait idéalement aux femmes d’accéder plus facilement à des promotions en cours de carrière.

La sécretaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, s'est d'ailleurs engagée le 23 juin devant l'Assemblée Nationale à ce que le gouvernement allonge le congé paternité. En revanche, la nouvelle durée n'est pas encore déterminée, ni même le calendrier. Une des propositions est de porter ce congé de 11 à 30 jours. 

Les auteurs de la note misent également sur le développement de la formation et de l’aide à l’embauche des seniors ou encore le soutien aux jeunes issus de l’immigration. 

 

Par ailleurs, afin d'impliquer davantage les entreprises dans cette lutte, la mise en place d'un indice "diversité et inclusion" est préconisée. Cet indice permettrait de mesurer la situation des groupes minoritaires sur le lieu de travail en questionnant anonymement les salariés sur leur ressenti et leur parcours.

 

Afin de répondre à une logique de "name and praise", plutôt que "name and shame", seuls les employeurs dont l'indice excéderait un certain seuil seraient rélévélés dans un objectif de valoriser les entreprises qui combattent activement contre les discriminations. 

 

D'autres recommandations viennent compléter ces mesures (voir tableau récapitulatif ci-dessous).

 

Pistes envisagées

Mesures proposées

A) Habiliter les groupes discriminés à ne pas se conformer aux stéréotypes qui les ciblent

 

-Promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes

 

-Renforcer l’employabilité des seniors 

 

-Donner aux jeunes issus de l’immigration les moyens de réussir 

Recommandation 1. Porter à 4 semaines le congé de paternité

 

Recommandation 2. Introduire un volet senior dans les accords de gestion des emplois et des compétences. Déplafonner le compte personnel de formation pour les plus de 45 ans s’ils bénéficient de formations qualifiantes ou de reconversion négociées par les partenaires sociaux. Créer une aide à l’embauche des seniors en recherche d’emploi depuis plus de douze mois. 

 

Recommandation 3. Renforcer les interventions sur le temps scolaire visant à améliorer les aspirations et l’estime de soi des élèves.

 

B) Une connaissance insuffisante du cadre légal et des recours possibles en cas de discrimination sur le marché du travail

 

-L’arsenal juridique en matière de lutte contre les discriminations sur le marché du travail est fourni 

 

-Une méconnaissance généralisée du cadre légal et des recours possibles 

Recommandation 4. Lancer une campagne d’informations grand public sur l’illégalité des discriminations sur le marché du travail et sur les recours possibles, y compris à l’embauche. Rendre obligatoire une formation des membres du Comité social et économique (CSE), des délégués syndicaux et des inspecteurs du travail sur les moyens d’assister les salariés. 

C) Former à ne pas discriminer

 

-Former le personnel RH et les managers à ne pas discriminer

 

-Former à ne pas discriminer dès l’école

 

Recommandation 5. Étendre l’obligation de formation à la non-discrimination à la gestion du personnel en poste. Labéliser les cabinets de formation se conformant à un cahier des charges, mis à jour en fonction des résultats issus d’évaluations d’impact. 

 

Recommandation 6. Augmenter les subventions aux formations à la non-discrimination en milieu scolaire et périscolaire, tout en les conditionnant à des évaluations d’impacts. Cibler les établissements dont le climat scolaire est le plus délétère, suite à la généralisation des enquêtes locales de climat scolaire.

 

D) Mesurer la situation des groupes minoritaires sur le lieu de travail et dans la population totale

 

-La loi française n’interdit pas de mesurer la diversité et l’inclusion 

 

-Mesurer la situation des groupes minoritaires sur le lieu de travail 

 

-Mesurer la situation socio-économique des groupes discriminés dans la population totale 

Recommandation 7. Créer un indice « Diversité et inclusion » reposant sur un protocole défini par les pouvoirs publics permettant de valoriser les employeurs les plus divers et inclusifs en fonction de différents critères de discrimination. Cet indice pourrait inclure par exemple la part des salariés qui ont effectué leur parcours scolaire en réseau d’éducation prioritaire et/ou qui habitent les quartiers de la politique de la ville (QPV). 

 

 

Recommandation 8. Inclure dans le recensement ou dans une enquête adossée au recensement telle que l’enquête « Famille et logements » des questions sur l’origine ressentie des individus, leur orientation sexuelle et leur identité de genre. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous trouverez ci-dessous la note n°56 du CAE "Lutter contre les discriminations sur le marché du travail" de juin 2020 par Stéphane Carcillo et Marie-Anne Valfort, ainsi que son communiqué de presse. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Le Conseil d’analyse économique, créé auprès du Premier ministre, a pour mission d’éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses de ses membres, les choix du Gouvernement en matière économique. 

 

 

 

(2) Sciences Po, OCDE, membre du CAE 

 

 

 

(3) OCDE, École d’économie de Paris (PSE), Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne