« Toujours pas d’égalité salariale » d’après le rapport du Haut Conseil à l’Égalité

Égalité dans le travail
Égalité professionnelle F/H

- Auteur(e) : Chela BINDA

Le 7 mars 2024, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes publie un rapport sur l’index égalité professionnelle crée en 2018 par la loi Avenir Professionnel[1].  Ce rapport est le fruit d’un travail mené par plusieurs acteurs afin d’évaluer l’index, mener un bilan sur ses forces et faiblesses, et y intégrer la nouvelle directive européenne sur la transparence salariale du 10 mai 2023[2].

Son élaboration a nécessité la réunion de la Formation Égalité Professionnelle, une assemblée de 42 membres, composée de représentants d’organisations syndicales représentatives au niveau national, d’employeurs-euses, de personnalités qualifiées raison de leur compétence et expérience en matière d’égalité femmes-hommes, ainsi que des représentants de l’Etat. Le travail s’appuie sur des auditions de personnalités expertes, diverses lectures institutionnelles et académiques ainsi que le recueil d’expérience sous la forme de « table rondes d’écoute » avec plusieurs Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités. Le rapport a été adopté à l’unanimité des votes exprimés, à l’abstention du collège patronal.

Pour rappel :

L’index égalité professionnelle a été créé en 2018 dans le but d’analyser les écarts de salaire, dans les entreprises d’au moins 50 salariés et les établissements publics, en se basant sur la rémunération annuelle brute moyenne reconstituée en équivalent temps plein (excluant alors les primes, heures supplémentaires et indemnités suite à la rupture de contrat). L’index comporte 5 indicateurs qui, en s’additionnant, donnent un score de 100 points :

  1. Écart de rémunération entre les femmes et les hommes (40 points)
  2. Écart de taux d’augmentation individuelle (20 points)
  3. Écart de taux de promotion (uniquement dans les entreprises de plus de 250 salarié-es) (15 points)
  4. Nombre de femmes augmentées au retour du congé maternité (15 points)
  5. Nombre de salarié-es du sexe sous-représenté dans le top 10 des rémunérations (10 points)

Pour assurer alors son effectivité, toute entreprise ayant une note inférieure à 75/100 doit se mettre en conformité dans un délai de 3 ans, sous peine d’une sanction financière de 1% de la masse salariale, tandis que les entreprises ayant une note inférieure à 85/100 doivent publier les objectifs de progression par indicateur. De plus, les entreprises concernées doivent obligatoirement calculer et publier sur leur site internet le détail de l’index et ce tous les ans, au plus tard le 1er mars. Si cette obligation n’est pas respectée, la même pénalité financière sera exigée : mais si l’employeur refuse de divulguer la masse salariale, le montant sera calculée sur la base de deux fois le plafond mensuel de la sécurité sociale.

En 2023, l’index est en moyenne de 88/100, dépassant largement le seuil des sanctions financières. Celles-ci étaient particulièrement faibles en 2022 : seules 712 mises en demeures ont été envoyées et 42 pénalités ont été prononcées sur un total de 43 445 entreprises.

Forces et faiblesse de l’index égalité professionnelle

Le rapport reconnaît plusieurs progrès en termes d’égalité professionnelle. L’index, en contribuant à la transparence salariale, a réduit la discrimination car il impose aux entreprises d’articuler les écarts de rémunération selon les parcours de carrière et à agir pour l’égalité salariale. Son efficacité est assurée par les sanctions mentionnées ainsi que par le contrôle de l’inspection du travail. L’index permet aussi d’avoir une plateforme accessible et commune favorisant la comparaison.

Le rapport dénonce toutefois un « effet label à double tranchant » : L’index est alors positif car il permet de réduire les écarts salariaux en favorisant les femmes dans le recrutement, ayant alors pour effet bénéfique d’améliorer la réputation et l’attractivité des entreprises concernées. Mais le revers est que l’index soit vu comme un outil de sanction, exigeant une note supérieure à 75/100. Or ce n’est pas un outil de sanction, mais de progrès, comme l’indique Vincent Arnaud Chappe[3] interrogé dans le cadre du rapport : « Il faut garder en tête que l’objectif réel est d’améliorer la situation des femmes dans l’entreprise ». Il y a également l’effet sur l’image des entreprises, qui évitent de publier les scores pour ne pas ternir leur réputation.

Pistes d’évolution de l’index

Le rapport se conclut sur plusieurs pistes d’évolutions de l’index, articulées autour de quatre axes d’orientation, présentés ci-dessous sous forme de tableau :

Maintenir un outil de mesure multifactoriel des inégalités salariales

L’idée est de garder un outil simple, mais qui ne soit pas non plus « simplificateur ». Les membres de la Formation Égalité Professionnelle entendent alors :

- Intégrer l’ensemble des éléments variables de la rémunération au sens de la directive européenne sur la transparence salariale.

- Remplacer le premier indicateur de l’index par les 7 indicateurs de la Directive sur les écarts de rémunération, en affichant les pourcentages d’écarts des rémunérations (annuelles et horaires brutes).

- L’indicateur n°4 « Nombre de femmes augmentées au retour du congé maternité » est à aligner sur le code du travail qui précise que la salariée au retour de congé maternité bénéficie des augmentations générales et de la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant la durée du congé. L’index se limite au contrôle d’un versement d’une augmentation au retour de congé.

- Les membres ont également souligné l’importance de l’introduction du temps partiel dans l’appréciation des écarts de rémunération, en accord avec la directive qui impose une production de statistiques selon le temps de travail.

Confier l’automatisation du calcul de l’index au pouvoirs publics

Cette piste vise à faire baisser le nombre d’index non déclarés et déclarés incalculables. Les membres souhaitent alors :

- Partir d’une base statistique commune existante : la déclaration sociale nominative. Celle-ci étant mensuellement alimentée par les entreprises de manière obligatoire.

- Dans un objectif d’accompagnement des entreprises, un rappel sera fait aux entreprises ayant obtenu 0 à l’un des indicateurs de l’index plus de deux ans de suite.

- Renforcer les obligations et les sanctions administratives de la déclaration de l’index, en augmentant les pénalités financières, ainsi que les sanctions judiciaires en cas d’inégalité de rémunération constatée.

Rendre l’indicateur des écarts de rémunération plus lisible et transparent

Le but est de renforcer la visibilité et la lisibilité de l’index. Pour ce faire, les membres veulent :

- Recentrer la campagne de communication des services de l’Etat sur le fait que les entreprises doivent avoir pour objectif d’atteindre 100/100 et non 75/100.

- Créer une base nationale des écarts de rémunération F/H en pourcentage, en accord avec la Directive ; afin d’avoir une plus grande transparence et une meilleure lisibilité des données.

- Introduire des obligations de forme sur la présentation des données pour assurer une meilleure lisibilité.

- Afficher sur le site de consultation de l’index le nom des entreprises ayant eu 0 à l’un des indicateurs.

Mieux conjuguer les outils de l’égalité professionnelle à l’Index

La simplification, la lisibilité et l’efficacité de l'index sont les trois objectifs de cette dernière piste :

- Améliorer la cohérence entre l’index et les outils de diagnostic de l’égalité professionnelle, par une définition homogène des indicateurs de l’index et de la BDESE.

- Renforcer le dialogue social autour de l’index, en s’appuyant sur la directive qui prévoit des droits plus étendus aux instances représentatives du personnel, à demander des informations, données et indicateurs supplémentaires.

- Ouvrir la réflexion sur l’implication des branches professionnelles dans les actions contre l’inégalité de rémunération.

- Renforcer les moyens de sensibilisation et de formation pour les acteurs ou actrices du dialogue social impliqués sur l’index. Le rapport précise que l’index seul ne suffit pas et qu’il est à combiner avec d’autres dispositifs en faveur de l’égalité salariale : la négociation collective et la conclusion d’accord collectifs spécifiquement sur l’égalité F/H et salariale.

- Renforcer l’obligation de négocier l’égalité salariale lorsque l’index est en dessous d’une certaine note.

- Augmenter le délai de prescription à plus de trois ans pour la saisine judiciaire. 

 

Vous trouverez ci-dessous, le rapport du Haut Conseil à L’Égalité sur l’égalité salariale en intégralité.

 

[1] Loi n°2018-771 pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018

[2] Directive européenne 2023/970 du 10 mai 2023

[3] Vincent-Arnaud Chappe, Sociologue chargé de recherches au CNRS, audition HCE, septembre 2023