Accident du travail : le salarié n’a pas à justifier la réalité du manquement commis par l’employeur pour appuyer une action en résiliation judiciaire

Emploi

- Auteur(e) : Evdokia Maria Liakopoulou

Dans le cadre d’une action enrésiliation judiciaire d’un contrat de travail pour manquement de l'employeur aux règles de prévention et de sécurité ayant causé un accident du travail, c’està celui dernier de démontrer qu’il avait bien pris toutes les mesures exigées par la loi. C’est ainsi que juge la Cour de Cassation, dans un arrêt rendu le 28 février 2024. En statuant ainsi, la Haute juridiction pose une exception en matière de charge de la preuve.

Pour rappel :

Droit commun de la charge de la preuve : Selon l’article 1353 du Code civil «celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation».

Par ailleurs, selon l’article L4121-1 du Code du travail: « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.  Ces mesures comprennent :  1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;  2° Des actions d'information et de formation ;  3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.  L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ».

De même, l’article L4121-2 du Code du travail dispose que : « L'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :  1° Eviter les risques ;  2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;  3° Combattre les risques à la source ;  4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;  5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;  6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;  7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;  8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;  9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs ».

En l’espèce, un salarié a été engagé en tant que technicien confirmé mécanique véhicules industriels. Suite à un accident de travail qui lui a causé une grave blessure de la main gauche, il saisit les juges prud’homaux d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Pour l’appuyer, le salarié invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité par son employeur.

En appel, le salarié fait valoir que, dans la mesure où il allègue un manquement de l’employeur aux règles de prévention et de sécurité, « il incombe à ce dernier de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité, et notamment à son obligation de prévention des risques ».  La cour d’appel le déboute pourtant de sa demande. Elle considère que le salarié en cause « n'explique pas les circonstances dans lesquelles il a été blessé sur son lieu de travail ». Puisqu’il sollicite la résiliation de son contrat de travail, « c'est à lui de démontrer la réalité des manquements qu'il invoque », conclut la cour d’appel. Le salarié se pourvoit ainsi en cassation.

La Cour de cassation censure l’argumentation des juges du fond. En exigeant du salarié de démontrer la réalité des manquements qu'il invoque, « la cour d'appel, inverse la charge de la preuve », relève la Haute juridiction. Elle décide ainsi que « lorsque le salarié invoque un manquement de l'employeur aux règles de prévention et de sécurité à l'origine de l'accident du travail dont il a été victime, il appartient à l'employeur de justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ». La Cour fait ainsi écho à sa jurisprudence portant au contentieux de la prise d'acte de la rupture d'un contrat de travail (Cass., Soc., 12 janvier 2011, Pourvoi n° 09-70.838).  

 

Cass., Soc., 28 févr. 2024, Pourvoi no 22-15.624.