N’abuse pas de la liberté d’expression le représentant du personnel qui dénonce une maltraitance institutionnelle de l’employeur

Syndicats
Instances repésentatives du personnel

- Auteur(e) : Evdokia Maria Liakopoulou

 

Dans la lignée de la jurisprudence récente qui a remis sur le devant de la scène la liberté d’expression des salariés, un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 28 septembre 2022 revient sur la caractérisation de l’abus dudit principe. Plus précisément, selon la Cour, n’abuse pas de sa liberté d’expression un représentant du personnel qui dénonce à l’Agence régionale de santé (ARS) une maltraitance institutionnelle de l’employeur.

Pour rappel :

Selon l’article L.2281-1 du Code du travail, « les salariés bénéficient d’un droit d’expression direct et collectif sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail. L’accès de chacun au droit d’expression collective peut être assuré par le recours aux outils numériques sans que l’exercice de ce droit ne puisse méconnaître les droits et obligations des salariés dans l’entreprise ».

Toutefois, selon l’article L.2315-3 du même Code, « les membres de la délégation du personnel du comité social et économique sont tenus au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication ». Ils sont aussi tenus « à une obligation de discrétion à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l'employeur ».

En l’espèce, une salariée, aide médico-psychologique et déléguée syndicale d’une association sous tutelle de l’ARS, a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire de trois jours, pour avoir adressé au directeur général de l'ARS un courrier « mettant gravement en cause l'organisation de l'établissement et les décisions de sa directrice ». Plus particulièrement, la salariée en question avait adressé, en sa qualité de représentant du personnel, une lettre à l’employeur contenant les interrogations des salariés quant aux projets envisagés par la directrice de l’établissement et leur impact sur leurs conditions de travail et la qualité de l’accueil des résidents. En l’absence de réponse de celui-ci et à la demande des autres salariés, la salariée avait adressé une seconde lettre à l’ARS.

La salariée a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir l'annulation de la mise à pied disciplinaire ainsi que des dommages-intérêts pour atteinte à l’exercice de ses fonctions représentatives du personnel. La Cour d’appel fait droit à sa demande et l’employeur se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme l’arrêt d’appel. Elle rappelle, tout d’abord, que « sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression et qu'il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ». Elle évoque, ensuite, que « le représentant du personnel, sauf abus, ne peut être sanctionné en raison de l'exercice de son mandat pendant son temps de travail ». 

Or, en l’espèce, la Haute juridiction relève, comme l’a fait la Cour d’appel, que la lettre de dénonciation envoyée à l'autorité de tutelle de l'association « ne comportait aucun élément injurieux, abusif ou excessif ». L'employeur ne démontrant pas, par ailleurs, la mauvaise foi de la salariée, la Cour juge donc que la mise à pied disciplinaire doit être annulée.

Cour de cassation, Chambre sociale, 28 septembre 2022, pourvoi no 21-14.814